Co-fondateur de Playlist Society, auteur du roman Le renoncement de Howard Devoto (Le Mot et le Reste, 2015), Benjamin Fogel s’essaye cette fois à user de son encre au crédit de Swans, projet d’un Michael Gira au parcours singulier, forcément singulier car émanant avant tout de son indéfectible passion pour la Musique. La vraie, celle qui s’oppose aux courbettes et aux formats depuis longtemps remâchés. Avec adresse et de façon accomplie, l’écrivain nous plonge, entre analyse captivante appliquée au contenu musical et anecdotes qui pimentent l’ouvrage, dans l’univers du sieur Gira. L’histoire est fournie, émaillée de doutes autant que d’une détermination bien enracinée, de réussites soniques amenées à marquer leur temps que côtoient, de manière très éparse, des essais plus « anecdotiques ».
Dense, donc, mais jamais surchargé, Swans et le dépassement de soi voit Fogel écrire avec panache et simplicité. Avec une certaine audace aussi car se consacrer à un groupe tel que Swans est forcément périlleux tant le personnage de Gira, de même que sa discographie et son parcours de vie jonché de diverses « bifurcations », peuvent nécessiter une minutie dans l’écriture, un travail de défrichage et de réflexion conséquents. Sur un format classieux et pratique, il narre aussi l’intronisation, décisive, d’une Jarboe qui parviendra à apprivoiser Gira au point d’exercer une influence majeure sur la direction que prendra, à son arrivée, Swans. Il dépeint les relations au sein du groupe, les textes du leader, profonds, les projets annexes parfois très proches de Swans (Angels of light, Akron/Family) et propose un récit plus que cohérent en dépit de la pluralité des thèmes abordés. Doté, en sa fin, d’une bibliographie et d’une discographie sélective recommandables.
A l’heure où me parvient un autre joli pavé issu de Playlist Society, écrit celui-ci par Simon Clair et traitant du parcours de Lizzy Mercier Descloux (ce qui prouve que chez cet éditeur, on a le souci d’écrire sur des artistes atypiques), lire Fogel m’a incité à me procurer, modeste possesseur que j’étais puisque ma collection Swans se résumait à Filth et To be kind, The great annihilator et Soundtracks for the blind. C’est aussi ça, le pouvoir de l’écriture; happer le lecteur au point qu’au terme des lignes parcourues, il réexplore le groupe honoré. Les objets sont de plus magnifiques, à l’instar du livre décrit en ces lignes, et émanent du label que l’intégrité de Gira l’a poussé à fonder pour échapper aux « prédateurs »: Young God Records.
En outre, le « géniteur » de Playlist Society a pour originalité d’écrire sur une formation qu’il n’a jamais vue live, ce qui ne porte nullement atteinte à la qualité du rendu. Pour le fan autant que pour l’amateur de créneaux musicaux insoumis, Swans et le dépassement de soi constitue une oeuvre à posséder, à investir et réinvestir avec la perspective, à chaque lecture, d’y trouver de nouvelles choses, d’en extraire l’irrépressible envie de se remettre entre les oreilles les albums souvent uniques et étendus de Swans. Précieux!