S’il faut encore le rappeler, Bruit Noir est le projet de Pascal Bouaziz, de Mendelson, et de son acolyte Jean-Michel Pires. Délibérément singulier, délibérément et génialement ironique, le duo avait déjà créé la surprise avec son I/III (2015), fait d’une forme de rock narratif qu’on renoncera à qualifier, reposant sur des trames proches du hip-hop mais elles aussi impossibles, là n’est d’ailleurs pas le but, à définir.
Car Bruit Noir ça se vit, quand bien même la paire s’évertue à dégommer la vie. Ca s’écoute et ça se réécoute, le verbe de Bouaziz est prenant, mordant, hautement inspiré. Le succès et ses voix entre off et narratif, excellent, voit les deux hommes ironiser sur eux-mêmes, sur leur rendu discographique précédent. « Encore un album pour que dalle », y disent-ils. C’est pourtant tout le contraire! Ce II/III, fort aussi en son début d’un Paris splendidement amer, jette sa chape ombragée et assied le style de Bruit Noir. Pareil à aucun autre, comme quand il évoque l’Europe, le fait que « les belles idées vieillissent », entre autres constats crédités par un regard perspicace, et signe un étayage musical captivant. On le rapprochera en cela du Michel Cloup Duo, collègue de label à la vision sociétale tout aussi lucide. Des interludes aussi courts qu’intrigants qui vont de M1 à M10, expressifs dans le mot comme dans l’ornement, renforcent un opus qui s’adressera aux avertis.
Romy, puis Les animaux sauvages, introduisent à leur tout un discours sombre, dont surgit de temps à autre la lumière. La plume de Bouaziz est éloquente, bien que trempée dans un encre noire. Des collabos suinte une sorte d’électro-rock savoureuse, légère dans le chant, au refrain obsédant. Bruit Noir fait honneur à son nom, à une démarche qui l’éloigne, plus encore qu’à ses « balbutiements », des sentiers battus. Ses sons sont ingénieux, parcimonieux comme sur 1967. On s’éprend de son désenchantement.
Partir, en dépit de son intitulé, nous retiendra. Bouaziz, à l’image de ce qu’il entreprend chez Mendelson, expérimente. C’est son terrain de jeu favori, celui où il évolue au gré, inspirant, de son désabusement. M10 achève le boulot, puis on revient à M1, qui introduit avec une grisaille similaire un disque dont, paradoxalement, l’obscur est pur et fait du bien au citoyen. A la one again, pour enfanter un ouvrage qu’on écoutera pourtant « again and again ».
(Photo Simon Gosselin)