Muzzart a rencontré Gaëtan Roussel le 28 novembre 2018 juste avant son concert au Krakatoa de Mérignac à l’occasion de la tournée suivant la sortie de son nouvel album Trafic. J’en ai profité pour en savoir un peu plus sur son nouvel album ainsi que sur ses nombreuses collaborations et ses projets à venir. site officiel de Gaëtan Roussel
Joseffeen/Muzzart: Ce nouvel album mêle des textes très tristes à des mélodies légères comme une farandole pop, c’est un peu une façon de dire « tout ne va pas forcément bien mais danse, on verra bien »?
Gaëtan Roussel: Tout à fait. Il y a cette idée là parce qu’il y avait des sujets que j’avais envie d’aborder. D’habitude, je choisis des sujets mais je ne les définis pas autant que sur ce disque-là. Là, j’avais envie de parler de l’oubli, de la mémoire, de l’addiction, des doutes, d’être tout seul ou de la célébrité comme dans « Le jour et la nuit », de choses comme ça. Mais, je me suis dit que comme ces sujets étaient plutôt sombres, il fallait que la lumière rentre par un endroit et je pense que la musique peut s’écouter mais se danser aussi comme tu le disais. Je suis intimement convaincu qu’elle passe par les pieds également. Un jour, quelqu’un m’a dit « est-ce que vous essayez de faire de la musique qui passe par les pieds pour toucher les coeurs? » et j’adore cette formule alors j’essaie, du mieux que je peux et avec tout mon coeur, de faire ça. C’est aussi pour cette raison-là que la pochette est faite d’un portrait en noir et blanc et de vert fluo un peu partout. C’est un peu comme si le vert fluo était les mélodies et les rythmes et le noir et blanc représentait les sujets abordés. Je trouve, enfin j’espère, qu’au lieu de s’annuler, le mélange invite à plus danser ou à mieux écouter les textes. Je n’avais pas envie de faire des ballades piano-voix. J’avais envie d’enthousiasme sur ces morceaux.
Joseffeen: Le premier single, « Hope », s’inscrit tout à fait dans cette idée-là d’ailleurs.
Gaëtan Roussel: Oui. « Hope », c’est une chanson assez rythmée avec un refrain très pop. Le thème du texte, c’est la mémoire et l’oubli et en particulier pour moi la maladie d’Alzheimer mais je pense que cela peut représenter d’autres choses pour d’autres gens comme un oubli plus personnel. Il y a quelque chose d’assez large dedans. Cette chanson est liée à un recueil de nouvelles que j’ai écrit il y a un an et demi, deux ans qui s’intitule Dire Au Revoir et traite des différentes façons qu’il peut y avoir de dire au revoir. Dedans il y a une nouvelle, « Des bouquets sans fleurs » qui raconte l’histoire d’un fleuriste qui, atteint d’Alzheimer, perd le sens de tout, de la mémoire, de ses gestes et de sa propre vie et j’ai voulu faire un pont direct avec la chanson. J’ai essayé d’y mettre plein de lumière autrement avec des rythmes et cette mélodie. Le clip qu’on a fait est un petit clin d’oeil à une idée qui serait de dire que la personne qui est complètement perdue en ville, et ne sait pas où elle va, peut voir l’avenir même si elle ne se souvient pas d’hier parce que le personnage du clip dessine au début quelque chose qu’il trouve à la fin. J’aime le mouvement aussi et on retrouve ça dans le clip aussi. (ndlr: Dire Au Revoir est récemment sorti en Livre de poche)
Joseffeen: Au sujet de l’oubli, quelles sont les choses que toi, tu ne voudrais surtout pas oublier?
Gaëtan Roussel: C’est la première fois qu’on me pose cette question. Il faut que je réfléchisse. Elle est grande cette question. Elle est super. (petite pause) J’adore les rencontres alors cela aurait forcément un rapport avec les autres. Je ne voudrais pas oublier qu’il ne faut pas oublier les gens, tu vois? Ce serait quelque chose comme ça en tout cas, en rapport aux autres.
Joseffeen: Pour revenir un peu sur les mélodies, tu chantes en français mais les mélodies ont plus un côté pop anglo-saxonne que française je trouve avec des sonorités parfois électro qui pourraient rappeler ce que peut s’amuser à faire quelqu’un comme Damon Albarn il me semble….
Gaëtan Roussel: J’adore Damon Albarn et ma culture est anglo-saxonne, que ce soit dans le folk américain ou le rock anglais comme les Clash, Blur ou Gorillaz dont tu viens de parler. En parallèle, j’aime beaucoup la chanson française. Je suis un amoureux de Brel, Bashung et Brassens. Du coup, j’essaie, musicalement, de tendre un peu vers l’anglo-saxon mais ça me tient à coeur de chanter en français. Dans mes chansons, ce sont les choeurs qui prennent les tours de chant en anglais. Je trouve que cela crée une musicalité intéressante, qui moi me plaît en tout cas, et à côté de ça, j’essaie d’y donner un sens avec le côté choral de l’anglais qui répond à un gars qui est tout seul en français. C’est très rare que je double les voix en français. J’aime bien le coté choral, massif et généreux des choeurs en anglais comme sur le titre « Je veux bien. Je ne sais pas ».
Joseffeen: Ma question d’après portait justement sur ce titre-là! Tu peux m’en parler un peu?
Gaëtan Roussel: J’ai l’impression de m’amuser à faire une comédie musicale sur ce titre-là, tu vois? (rires). Le texte n’est pas de moi. Il a été écrit par Clarisse Fieurgant avec qui je travaille depuis longtemps. J’ai bien aimé son approche et cette idée qu’on peut être parfois les bras ballants et qu’on ne sait tellement plus quoi faire que l’on veut bien tout et n’importe quoi: « Je veux bien avoir tort. Je veux bien avoir mal. Je veux bien souffrir encore. Je veux bien devenir pâle ». Il y a aussi cette phrase en anglais dans les choeurs qui dit « you don’t know what you know ’til you know what you don’t know ». Il y a un contrepied constant. Le sens du texte est à l’envers tout le temps et ça me plaît beaucoup. Et puis, le côté sautillant du refrain en anglais donne au morceau un aspect comédie musicale. J’adore faire ce genre de rebond-là musicalement.
Joseffeen: Le morceau qui se démarque dans l’album par son côté au contraire très doux et calme, c’est le duo avec Vanessa Paradis sur « Tu me manques (et pourtant tu es là)« ….
Gaëtan Roussel: Ah oui! C’est une vraie ballade celui-là! Pendant que j’étais en train de l’écrire, alors que le brouillon était assez avancé, je me suis dit « il faut que j’envoie cette chanson à Vanessa Paradis parce que si on trouve le moyen de se répartir le texte et de la chanter ensemble de façon à ce qu’on se manque un peu dans le morceau lui même, ce serait super ». J’ai eu la chance qu’elle dise oui et ça a été un super moment. Je suis très heureux et très honoré d’avoir fait ce duo avec elle. Le but n’était pas de faire un duo. C’est vraiment avec elle que j’avais envie de chanter cette chanson. Nous nous étions déjà croisées il y a une dizaine d’années sur le titre « Il y a » que j’avais écrit pour elle. C’est Romain Humeau qui a fait les arrangements du morceau. J’adore Romain! C’est un mec que j’aime beaucoup humainement. C’est aussi lui qui a fait tous les arrangements des cordes de Lady Sir.
Joseffeen: Tu disais tout à l’heure que les rencontres sont très importantes pour toi. Parmi les plus importantes il y a eu Bashung ou Rachida Brakni sur votre projet Lady Sir l’année dernière aussi dont tu viens de parler….
Gaëtan Roussel: Oui, c’est très nourrissant les rencontres. C’est une super rencontre Rachida Brakni. J’ai adoré parce que ça n’avait rien à voir avec le projet dont je sortais avec mes camarades de Louise Attaque et que ça n’a rien à voir avec ce que je fais en solo. J’ai aimé ça et ça m’a appris plein de choses. Cela m’a donné de l’élan pour faire un disque autrement, plus pop et de revenir à des mélodies dansantes alors que l’album de Lady Sir, il est plutôt très folk américain avec cet aspect grands espaces à la Mark Lanegan. Nous avons essayé de créer une voix assez androgyne et avons eu envie de mélanger les langues. J’adore la façon dont Rachid Taha arrivait à faire du rock en mélangeant les langues comme ça. C’est un projet qui me tient à coeur et je pense qu’on va faire un deuxième disque. On a fait un album très posé et on s’est rendu compte en faisant de la scène qu’on pouvait aussi faire des choses assez tendues et j’aimerais bien que l’on fasse le pendant de ce premier disque, quelque chose de plus « envoyé » qui serait un peu le négatif du premier.
J’ai travaillé un peu avec la demoiselle Hoshi récemment aussi. Je lui ai proposé une chanson qui s’appelle « Je vous trouve en charme fou ». Elle m’a proposé de la chanter en duo avec elle et on va la sortir en début d’année. J’espère qu’on aura l’occasion de faire d’autres trucs. J’aime beaucoup sa voix et la façon qu’elle a de chanter non négociable. J’adore ça.
Joseffeen: Ton album Trafic est aussi une histoire de rencontres puisqu’il a été composé et enregistré d’une manière un peu originale…
Gaëtan Roussel: Oui, aussi. Je suis parti à Los Angeles pour participer à des ateliers d’écriture. Je l’avais déjà fait un peu et ce n’est pas mon approche de la musique au départ vu que j’ai commencé avec Louise Attaque parce que c’était mes potes. On aurait pu monter un bar ou un resto mais on a fait un groupe! (rires). Ce n’était pas casté au départ alors que, quand tu fais des ateliers d’écriture, c’est accepter l’idée d’être curieux, que parfois l’alchimie ne passe pas même si on te met avec des gens qui ne sont pas très différents de toi. Je me suis retrouvé à faire des ateliers avec des gens qui avaient une grosse culture r’n’b et ça m’a appris plein de choses même si des chansons sont restées dans un tiroir. Cette fois-là, j’ai rencontré Justin qui est australien et Jonas qui est suédois ainsi que Dimmi qui est un DJ français et s’avère être mon voisin à Paris alors qu’on s’est rencontré à Los Angeles. Dès les premiers moments en studio avec eux, alors que je n’envisageais pas encore l’enregistrement de l’album, ça m’est tombé dessus comme une évidence. Je savais ce que je voulais dire et j’ai trouvé, avec eux, la réponse à la manière dont je pouvais le dire. Dès qu’il a joué le petit bout de piano qui ouvre mon disque, je me suis dit « mais oui, voilà, c’est ça ». On est très différent et j’ai adoré ça. Dès que Jonas fait une chanson, tu as l’impression qu’il est au Stade de France et il a un enthousiasme de fou, alors que Justin a une culture plus rock, il a joué avec Prince et Beck et il adore quand il y a des accidents dans une mélodies, quand les trucs ne sont pas droits et ils les gardent comme ça un peu cabossés. Le résultat de tout ça a été mis dans les mains d’Antoine Gaillet qui est un super producteur et avec qui j’ai déjà travaillée avec Lady Sir. C’est une histoire de rencontres et de trafic de sons qui a pris une année à peu près.
Joseffeen: Après cet album, qu’est-ce qui t’attend en plus de retravailler avec Rachida Brakni? Des lectures musicales? De l’écriture?
Gaëtan Roussel: J’ai déjà fait des lectures en musique par rapport à Dire Au Revoir. J’aime bien en faire avec un copain à moi qui est un super acteur: Grégory Gadebois. J’en ai fait une à Bordeaux d’ailleurs à l’Escale du Livre. Je me colle à un autre livre là, un roman cette fois. Je reste à ma place, je ne suis pas auteur. Ce n’est pas le même travail écrire un roman et une chanson. Tu peux écrire une chanson en marchant, en notant des choses rapidement alors qu’il y a une vraie inertie quand on veut écrire quelque chose de plus long. Il faut accepter l’idée qu’il faut s’assoir, attendre que ça vienne. C’est un autre délire mais, tout en restant à ma place, j’ai envie d’essayer. J’ai des bouts pour l’instant et quelques idées, maintenant, il faut que je m’attaque à l’inertie! (rires)
Muzzart quizz:
Joseffeen: Quel est le meilleur endroit pour écouter de la musique?
Gaëtan Roussel: En marchant, j’adore ça! Le train, c’est pas mal aussi. J’aime bien quand il y a des choses qui défilent. J’aime bien cette idée-là.
Joseffeen: Quel est le premier album que tu as acheté quand tu étais petit avec tes sous à toi?
Gaëtan Roussel: Je pense que c’était un Nick Cave. J’ai commandé ça quand j’étais ado en fin de collège, Nick Cave et Passion Folder. Mon premier album, c’est mon père qui m’avait ramené la cassette de Music For The Masses de Depeche Mode.
Joseffeen: Quel est le meilleur concert que tu as pu voir en tant que spectateur?
Gaëtan Roussel: Neil Young au Grand Rex il y a une dizaine d’années. C’était une bonne claque. Il a joué une heure en acoustique, tout seul, entouré de ses guitares. Il se déplaçait, il avait comme des petits ateliers sur scène. Puis sa femme a joué pendant un heure avant qu’il ne rejoue lui en super électrique. C’était fou ce concert! Et, dans la foulée, la même année, j’ai vu Tom Waits au même endroit et ça aussi c’était fantastique!
Joseffeen: Et ton dernier coup de coeur musical?
Gaëtan Roussel: Je suis tombé dans le disque de Phosphorescent, New Birth in New England. C’est très pop, j’adore! J’aime bien son côté plus folky du départ aussi. Mon autre gros coup de coeur, et j’ai honte d’être passé à côté avant, c’est un monsieur qui doit avoir dans les 70 ans et qui s’appelle John Prine. Il a un côté Johnny Cash. ll fait des disques tout le temps et mon rêve est de faire une chanson avec lui! D’ailleurs là, je lance un appel alors si quelqu’un peut faire que ça se produise… (rires). Son dernier disque est magique.
Merci à Gaëtan Roussel et au Krakatoa!