Le 16 octobre 2018, la chanteuse canadienne Elisapie était en concert au Rocher de Palmer. C’est à cette occasion que Muzzart l’a rencontrée pour parler de son nouvel album, The Ballad Of The Runaway Girl (14 septembre 2018, Yotanka), mais aussi de musique et de ses origines inuits. Prochains concerts d’Elisapie: à Paris le 4 décembre (La Belleviloise) puis les 6 et 7 décembre (Centre Culturel Canadien), à Rennes le 8 décembre (Bars en Trans), à Angers le 9 décembre (Joker’s pub).
Joseffeen/Muzzart: J’ai ressenti ce nouvel album comme l’expression à la fois d’un besoin de liberté et d’un retour à la nature. Est-ce que c’est comme ça que tu le vois aussi?
Elisapie: C’est bien que tu l’aies ressenti comme ça! C’est exactement ce qu’il représente pour moi. Il ne s’agit pas d’une liberté pour partir à l’aventure mais d’une liberté qui permet de se sentir bien dans son corps et son âme aussi. Et oui, il y a aussi ce retour aux sources, ce qui signifie pour moi un retour à la nature et au territoire du Grand Nord qui me manquait énormément (ndlr: Elisapie est originaire d’une petite ville inuit dans le Grand Nord canadien). Beaucoup de choses ont refait surface et cela m’a beaucoup influencée dans mon instinct musical. Cet album est vraiment basé sur un instinct émotionnel.
Joseffeen/Muzzart: Il est très féminin aussi, je trouve…
Elisapie: Oui aussi! Il y a, par exemple, le morceau « Arnaq » qui parle de la femme en général. Cette chanson peut paraître masculine parce qu’elle est rock, assez brut, avec des percussions et des guitares, mais qui finalement montre tout ce que la femme peut vivre parce qu’on fait naître les enfants mais on doit se défendre aussi. Même en 2018, on doit toujours être en alerte encore même si ça semble fou. Je crois qu’au delà de ce que les gens pensent, nos instincts peuvent être assez brut. C’est aussi ça le féminin et je pense qu’il ne faut pas le nier ni en avoir peur. Je crois que c’est une force.
Joseffeen/Muzzart: Il s’inscrit dans une tradition féminine folk anglo-saxonne aussi. Quelles sont les artistes que tu aimes écouter dans ce style là?
Elisapie: Oui! Il y en a plein! Il y a une chanteuse qu’on ne connaît peut être pas trop ici qui s’appelle Melanie. J’adore sa chanson « Some say I got devil »! Elle date des années 70. Elle est extraordinaire. (ndlr: Elisapie se met à chanter): « Some say I got devil, some say I got angels ». J’ai toujours aussi beaucoup aimé le groupe de Toronto les Cowboy Junkies. J’ai grandi avec ça et le folk de gens comme Neil Young aussi. Plus tard, c’est surtout la musique des années 70 de chez nous qui m’a beaucoup influencée. Tout ça m’a toujours beaucoup apaisée dans mes vertiges émotionnels.
Joseffeen/Muzzart: Ensuite, j’aimerais que tu me parles de la chanson qui a donné son titre à l’album, « The Ballad of the Runaway Girl ». Au départ, j’ai pensé que c’était toi the runaway girl puis il m’a semblé que la chanson racontait une histoire pour finir avec l’impression que ça pourrait être moi au fond. Alors, qui est cette runaway girl?
Elisapie: Ah ah. C’est un peu nous toutes en fait. Que ce soit moi ou mes amies, j’ai l’impression qu’on fuit toutes quelque chose. Celle qui ne fuira pas deviendra un exemple pour nous toutes! Je regarde les gens autour de moi, j’ai des amis plus jeunes et plus âgés, et je me dis que c’est tellement plus simple de fuir souvent parce que c’est vertigineux ce que l’on peut ressentir face à des choses traumatisantes ou effrayantes. J’adore cette chanson. Je la trouve très poétique. C’est une chanson qui a été écrite par mon oncle dans les années 70. Elle m’a toujours fascinée. Je n’ai jamais réussi à savoir pour qui elle avait été écrite et puis j’ai trouvé ça beau finalement que cela reste un mystère. Cela permet aux gens d’y retrouver leurs propres expériences de cette façon-là.
Joseffeen/Muzzart: Pour en revenir un peu à tes origines inuits. En plus des chansons chantées dans cette langue sur ton album, comment penses-tu que ces origines ont influencé ta musique?
Elisapie: Je pense que, comme j’étais en quête de vérité, j’ai abandonné l’idée de tout vouloir contrôler et manipuler tout. On a tout enregistré live et mes instincts et anciens repères sont réapparus. Je suis une fille qui a grandi dans beaucoup de silence et de solitude dans un contexte où le passage du temps lui même était différent de celui que je connais depuis 20 ans à Montréal. Je suis retournée à cet état-là pour que mon album soit le plus proche possible de mes « tripes » et de la culture de chez nous parce que c’est ça qui me guide le plus. J’aime bien que les choses soient nuancées alors nous avons vraiment pris le temps sur certaines chansons. Je me suis permis de prendre le temps, même si tout n’est pas parfait, ça a été un processus très émotionnel et ancré dans mes origines. On a enregistré l’album dans un petit chalet à une heure et demi de Montréal. C’était un grand rêve pour moi de produite cet album-là moi même. Nous étions très peu, quelques musiciens et un ingénieur islandais, et nous sommes allés à l’essentiel. Le chalet était au bord d’un lac, c’était magnifique.
Joseffeen/Muzzart: Le clip du titre « Arnaq » a été filmé dans la ville d’où tu viens, je crois…
Elisapie: Oui, à Salluit. L’idée était de simplement aller mettre la caméra devant des situations qui se présentent tous les jours. On voulait évidemment des portraits de femmes et il y a eu de jolies rencontres. Ce clip était une façon de montrer qu’il y a évidemment là bas les grands espaces mais aussi des véhicules, des supermarchés, du rock… Je voulais que ce soit le moins artificiel possible.
Joseffeen/Muzzart: J’aimerais aussi que tu me parles d’un autre morceau dans ta langue: « Una ».
Elisapie: C’est une chanson à propos de ma maman qui m’a donnée en adoption quand j’étais bébé. Je crois que c’est une chanson que j’ai essayé, au départ, d’écrire peut être trop prématurément. J’étais dans une période difficile émotionnellement et pleurais à chaque fois que quelques paroles me venaient. J’ai fait une pause, écouté de le musique des années 70 de chez nous pour retrouver un peu plus de lumière. Elle m’est venue après, une fois que j’aie eu pris du recul. Cette chanson là, qui parle de ma naissance et imagine ce que ma mère a pu ressentir quand elle m’a donnée, a été une grande libération pour moi. C’est une des plus chargées émotionnellement.
Muzzart quizz:
Joseffeen/Muzzart: Quel est, pour toi, le meilleur endroit pour écouter de la musique?
Elisapie: En voiture parce que nous avons des grands espaces au Québec et on peut rouler très longtemps dans des régions extraordinaires. Souvent, quand je prends la route toute seule, je mets de la musique et je pars en voyage. J’espère qu’il y a des gens qui écoutent mon album de cette façon-là.
Joseffeen/Muzzart: Quel est le tout premier album que tu as acheté?
Elisapie: Je crois que c’était Van Halen! J’étais pré-ado et c’était à Montréal. C’est un souvenir que j’associe à la découverte de la ville, loin de mon petit village.
Joseffeen/Muzzart: Et ton dernier coup de coeur musical?
Elisapie: J’aime beaucoup Andy Shauf qui est canadien et a ce côté parfois 70’s dans sa musique. Je suis aussi toujours en recherche de vieux trucs, j’adore ça.
Joseffeen/Muzzart: J’ai une question subsidiaire rien que pour toi: aurais-tu des groupes du grand nord canadien à nous recommander?
Elisapie: Oui. Par exemple un groupe de hip hop qui s’appelle Snotty Nose Rez Kids qui vient de l’ouest canadien. Dans les artistes plus anciens, il y a Willie Dunn et son titre « I Pity the Country » que j’aime beaucoup et qui me semble toujours d’actualité politiquement parlant. C’est un bijou cette chanson. J’avais envie de la reprendre mais n’ai pas osé.
Merci au Rocher de palmer, à Yotanka et à Elisapie pour cette jolie rencontre!