Ifriqiyya Electrique vient du désert du Jérid (Sahara, Tunisie). On le qualifie d’avant-word, néo-rock et road-movie, mais avant tout et à juste titre de transe saharienne adorciste et post-industrielle. Son inspiration provient des rituels adorcistes de la Banga des anciens esclaves haoussas d’Afrique noire. L’expérimentateur fou François R.Cambuzat prend part au projet, en fan d’extrême et d’avant-garde, et s’entoure ici de personnages atypiques, dont une activiste italienne et trois ressortissants possédés de la Banga. Le résultat, sauvage, incantatoire, magique et splendidement hybride, tient en cet album, Rûwâhîne, sans égal de par le monde.
L’esprit est en phase avec les guitares et ordinateurs, le rendu est transcendant, habité. Laa la illa allah installe d’emblée une atmosphère sombre et tribale, d’abord retenue et qui explosera tout en groovant et en dépaysant sévèrement sur Qaadrii-salaam alaik-massarh, essai indus saharien porté par ces chants obnubilants, ces percus de là-bas, ces guitares qui tranchent dans le vif. Jamais tel mélange n’avait trouvé le jour, enfantant là un genre unique. La dépossession de soi-même en est l’atout-maître et musicalement, on navigue entre chants à nu, d’antan, et indus de poids. Le tout dans un trip de chaque instant. L’impact vient autant des voix que de l’instrumentation, agrémentée de touches électro. Les deux sont d’ailleurs en symbiose parfaite. Sauvagerie et énergie président, on ne peut rester insensible à ce choc culturel et musical; on s’y oublie, on s’en régale.
On s’en enivre, même. Surprenant de cohésion malgré la diversité de ses intervenants, nourri par des instruments inhabituels (tablas, tchektchekas notamment), Ifriqyya Electrique accouche d’un rendu magique. Place est faite au voix, sur annabi mohammad-laa la illa allah-deg el bendir, puis arrive la déferlante de percussions, de guitares dures, le tout dans un unisson étourdissant. Confondant de force, lavo-baba marzug-disi saad-allah suit, sidérant. La répétition des sons renforce l’attrait d’une aventure commune qu’on imagine intense et émotionnelle, basée sur le partage sonique et culturel. Lequel débouche, pour le coup, sur un album qui, s’il imprègne l’auditoire, à l’écoute, de manière prégnante, se vit très certainement de façon plus marquée encore dans les conditions du live. Epoustouflant.