Le 25 janvier 2017, juste avant son concert au Rocher de Palmer, nous avons rencontré Piers Faccini le temps d’une interview autour de son nouvel album, I Dreamed An Island, paru sur son label Beating Drum fin 2016.
Joseffeen/Muzzart: Comment as-tu composé cet album? Es-tu parti avec l’idée de cette île rêvée au départ ou plutôt de l’envie de faire un album aux influences orientales?
Piers: Ces chansons aux influences différentes, c’est un peu ce que je fais depuis un moment. C’est toujours là, ce genre de métissage pour moi. Sur cet album, je me suis trouvé à lire pas mal d’histoires, en particulier sur le Sud de l’Espagne et l’Andalousie et les 3 ou 4 siècles de l’histoire arabe en Espagne, et par la suite, je me suis tourné vers la Sicile où j’ai trouvé une histoire plus pertinente pour moi par rapport à mes origines. Je trouvais l’histoire de la Sicile un peu moins connue que celle d’Espagne aussi. Je me suis du coup beaucoup inspiré de la Sicile et notamment de la Sicile du 12ème siècle qui correspond à un moment où il y avait un métissage particulier qui fonctionnait bien. Il y avait une cohabitation entre Chrétiens, Grecs, Byzantins et Romains. Parmi les langues officielles de Palerme, la cour de Sicile, on parlait le grec, le latin et l’arabe. C’était une ville multi-culturelle, un pays multi-langues et c’est tout ce qui m’attire. Les chansons sont venues assez vite une fois que j’ai eu ce concept.
Joseffeen: Ce mélange d’influences de styles et de langues dans l’album justement donne l’impression que c’est une façon de dire que la musique est peut être une solution, un moyen de faire face à tout ce qui ne va pas forcément bien tout autour….
Piers: Oui, la musique montre effectivement que la beauté vient de l’échange. La musique en elle même, avec des styles qui sont souvent associés à un pays ou une culture, est un produit du métissage et de rencontres. Il suffit juste de trouver le fil et de remonter le temps pour voir qu’il s’agit toujours d’une rencontre de cultures et de langues différentes. Il y a ce mélange dans toutes les traditions musicales. Après, je trouve que, quand on joue sur scène et quand on montre qu’il est possible de mélanger les influences en créant une harmonie, ça a un impact, d’autant plus qu’on vit aujourd’hui une époque compliquée. J’essaie toujours de faire des belles chansons qui vont toucher les gens.
Joseffeen: C’est un peu l’idée qu’on retrouve sur ton titre « Bring down the wall », un besoin de faire tomber les murs…
Piers: Oui, c’est très utopique au fond. C’est parce que je crois vraiment que les gens peuvent vivre ensemble et que la vie est plus belle sans cette peur de l’autre et cette envie de diviser les gens. Je ne fais pas de politique, je manifeste juste un souhait assez innocent sur le fait que je trouve le monde plus beau sans murs.
Et puis, je voulais aussi rendre hommage à la mémoire de mes grands parents et arrière grands parents qui étaient des migrants et même des réfugiés du côté de ma mère d’où ce bateau dans le clip car c’est un peu de là que je viens en fait.
Joseffeen: Sur le morceau « Oiseau » qui clôture l’album, on retrouve cette idée de musique comme espoir…
Piers: Exactement. Ce que représente la musique, c’est à dire l’échange, le dialogue, le coeur qu’il faut mettre dans la musique pour que ça touche, je l’ai utilisé comme métaphore pour dire « sauvons nous par la musique ». C’est comme une prière mais une prière où il n’y a pas de religion attachée à ça. Je l’ai écrit et chanté comme si c’était une prière. Les gens trouvent ce morceau très sombre en général mais pour moi, non, c’est un appel à la lumière en fait. Mais c’est vrai que c’est une chanson qui ne fait pas semblant et qui est dans une certaine obscurité. C’est une complainte mais aussi un appel à aller vers cette lumière. Le morceau en soi représente assez bien la démarche de l’album.
Joseffeen: Le premier morceau de l’album, « To be sky« , et les paroles « to be lost is to be found » me plaîsent beaucoup aussi, tu peux en dire quelques mots?
Piers: Elle va avec l’idée que l’album représente une sorte de voyage avec un côté presque initiatique pour une personne qui cherche une sorte de paradis utopique. Cette première chanson, c’est comme partir sur une quête, l’idée de se perdre en bateau et espérer qu’un jour on tomberait sur une île magique. Du coup, pour la trouver, cette personne a besoin de se perdre. c’est peut-être uniquement en se perdant complètement qu’elle arrivera à trouver quelque chose. J’ai essayé de l’écrire en la laissant ouverte, en ne fermant pas tous les angles. Je la voulais assez poétique et mystérieuse. Ce que la personne finit par trouver à la fin, c’est quelque chose qui est plutôt en ruine, comme si elle était arrivée un peu trop tard. C’est quelque chose de très beau mais c’est fini et ce n’est plus qu’une mémoire. Comme « Oiseau » ferme l’album, « To be sky » est une entrée dans l’album et ce qui arrive après, et qui est un peu plus dansant, est ce que l’on trouve sur l’île.
Joseffeen: J’aime beaucoup la photo qui sert de pochette à l’album. Tu peux m’en parler un peu?
Piers: J’avais une autre image que j’avais peinte puis découpée qui était une sorte d’autoportrait sur un radeau mais juste avant de terminer l’album, j’ai fait une série de photos et me suis rendu compte qu’elles racontaient plus l’histoire de l’album en fait et notamment cette photo de mon plus jeune fils, Sammy. Il y a la façon dont il est perdu dans ses pensées, la façon dont la lumière le transperce et plein de petits détails. C’était juste un joli moment de hasard assez gracieux comme ça et j’ai eu la chance de réussir à déclencher au bon moment. J’aime bien le fait que c’est une silhouette d’enfant parce que je trouve que faire de la musique, chanter, c’est se connecter à quelque chose qui est propre à l’enfance. Si on perd cette part d’enfance, c’est un peu comme si on perdait la voix en quelque sorte. D’une certaine manière c’est un autoportrait à travers mon fils.
Joseffeen: Je vais te faire quelques proposition et tu vas devoir faire des choix, tout d’abord: entre l’Angleterre ou la Sicile, tu choisis quoi?
Piers: Aujourd’hui la Sicile sans hésiter! Palerme est ma ville préférée!
Joseffeen: Ellis Island ou Coney Island?
Piers: Ellis Island. J’en parlais avec ma femme justement l’autre jour. Elle est napolitaine et on pensait à tous ces italiens qui avaient pu arriver à Ellis Island et y passer des mois sans savoir s’ils allaient pouvoir rentrer aux Etats Unis ou pas.
Joseffeen: Et enfin: le poème « No man is an island » de John Donne ou « An island un the sun » de Weezer?
Piers: Aucun des deux. Plutôt un livre qui m’a toujours inspiré qui est Island de Aldous Huxley. Ce livre est absolument magnifique et comme dans tout ce qu’il a écrit, c’est extraordinaire de voir tout ce qu’il a pu pressentir. Il y a l’idée de vivre quelque chose d’un peu utopique avec en parallèle un regard assez froid sur ce qui passe et là où va le monde. C’est un grand livre pour moi.
Muzzart quizz:
Joseffeen: Quel est le meilleur endroit pour écouter de la musique?
Piers: Parfois, ça peut être un train ou en avion. J’aime bien être bercé par le mouvement tout en étant transporté par la musique. C’est faire à la fois un voyage et un voyage « hors temps » à travers la musique.
Joseffeen: Quel est ton dernier coup de coeur musical?
Piers: Je dirai une artiste avec qui j’ai récemment joué lors d’un festival en Ecosse et qui s’appelle Aziza Brahim. C’est une femme avec une histoire assez intéressante. Elle vient d’un pays à côté de l’Algérie mais elle était réfugiée et n’a jamais pu rester là-bas. Elle a vécu dans des camps de réfugiés et mêle cette culture du Sahara, très touareg et en même temps elle parle espagnol. Elle fait une super musique.
Joseffeen: Quel est ton meilleur souvenir de concert?
Piers: C’est probablement Steve Reich et son ensemble jouant un des plus beaux morceaux du monde: « Music for eighteen musicians ». C’était à la cité de la musique et c’était extraordinaire. Sinon Leonard Cohen aux Arènes de Nîmes, c’était magique aussi, Fela Kuti à la Brixton Academy ou The Smiths là-bas aussi!
Merci à Piers Faccini, au Rocher de Palmer
et à Florence
Merci à Piers Faccini, au Rocher de Palmer
et à Florence