Février-mars arrivant, on se réjouit d’être amienois, la Lune des Pirates offrant la possibilité d’assister dans ses murs à deux festivals de tout premier ordre: Les Nuits de l’Alligator puis Les Femmes s’en Mêlent.
En cette fin février, le premier des deux était à l’honneur et dévoilait une affiche prometteuse, Streets of Laredo et son indie folk-rock déblayant le terrain pour le jazz-rock de Jolie Holland avant que les sorciers soniques suisses de Hell’s Kitchen ne concluent avec maestria une belle soirée.
Celle-ci allait d’ailleurs débuter face à une assistance clairsemée, dommage vu la qualité du set de Streets of Laredo, entre folk-rock et americana dans un ton intense ou plus feutré, superbement joué. Mélodies à tomber, rythmes insistants, ensemble parfait; les gars d’Auckland et leur acolyte féminin charment, envoûtent et servent des chansons magnifiques, enjolivées à l’occasion par une trompette et des choeurs d’une beauté à larmoyer. Slow train, Lonsdale line et nombre d’autres compositions patinées et entraînantes, parfois dépaysantes, assurent un show brillant et une entrée en matière des plus accomplies.
Merveilleux concert donc, mais on n’en dira pas autant de Jolie Holland, presque blottie dans un coin de la scène, dans un éclairage mesuré, et dont la prestation présentera trop de creux, malgré un sursaut emballant sur deux ou trois titres de suite, impulsé par son guitariste, pour réellement emporter l’adhésion. Entre jazz trop sage, blues et rock qui enthousiasme lorsqu’il se fait impétueux, il y là trop de retenue, peu de vie et de partage: dommage! Wine dark sea, bel album sorti chez Anti-, aurait mérité une interprétation plus animée, moins polie et sans qualifier le concert de mauvais, loin de là, on était en droit d’attendre plus du quatuor texan.
Qu’à cela ne tienne, trois Helvètes diaboliques répondant au nom de Hell’s Kitchen vont dans la foulée faire un barouf jouissif, roots à souhait, animé par l’esprit « bricolo » d’un Tom Waits et bazardant avec génie le blues des origines. Pétri de classe, avec dans sa besace une palanquée d’albums et une feuille de route chargée, Monney B, Ryser C et Taillefert C construisent un groove « cuisiné aux petits oignons » (l’expression est de Clémence, actrice majeure de la culture locale et spectatrice assidue des spectacles locaux; je l’en remercie), insufflent une folie salvatrice dans leur gig d’alchimistes du son. Le panel d’objets utilisé est assez inédit, le batteur se sert en l’occurrence…d’un fouet de cuisine, le bassiste-contrebassiste au groove d’enfer d’un instrument boisé lui aussi singulier. Le chanteur-guitariste use d’un jeu fin ou acéré, chante avec classe ou une loufoquerie de génie et l’union des trois est fabuleuse. On n’en rate pas une note, la Cuisine de l’enfer nous mène vers le paradis et consacre la formation de Genève (il y a décidément en Suisse de bien bons combos), en même temps qu’elle assied la pertinence de l’événement.
Photos William Dumont.
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