Prenez un Catalan qui défriche à tout-va (Pascal Comelade), adjoignez-lui des Perpignanais qui « psychédélisent » eux aussi sans relâche (Les Limiñanas) et vous obtenez un album expérimental mais accessible, aux courants divers (garage, musiqués réitératives ou essais plus contemplatifs, le tout doté bien sûr de la touche psyché des Limiñanas et des déviances sonores de Comelade).
Traité de guitarres triolectiques, l’opus ainsi obtenu, grince avec élégance, instaure une série d’instrumentaux brillants, insoumis, amenés par l’introductif Stella star, fin, soutenu et joliment dissonnant. Une palette d’instruments large y est utilisée et donne un cachet particulier, des sonorités inédites, à cet ensemble qui plus est généreux qui au total livre seize morceaux. Carnival of souls « trace » en se faisant balafrer par l’orgue de Pascal, The nothing twist se fait plus « cool » tout en demeurant distordu, (They call me) Black sabata lorgne lui du côté « BO » avec allure, dans le délié. Tout ça est peaufiné avec soin, incite à l’ouverture (c’est peut-être l’une des raisons d’un titre à la fois humoristique et sympathiquement ironique) et on oscille entre plages enlevées et plus tranquilles. Ecarts sonores et mélodies sont adroitement entrelacées, le chant fou d’El Sordo orne You’re never alone with a schizo, aux sons géniaux parmi lesquels trône un banjo qui envoûte.
Voilà une oeuvre majeure, nul besoin d’en parcourir le contenu mille et une fois pour en prendre conscience, quand bien même c’est ce qu’on l’on fera eu égard à sa qualité. Why are we sleeping mêle fuzz et psychédélisme doux, agrémenté par le « bruit avenant » que concocte cette dream-team de l’inobéissance stylistique. Aucune règle ne prévaut, en effet, si ce n’est l’authenticité et l’irrévérence, la passion aussi et ce besoin continuel d’inventer, de définir des espaces sonores nouveaux.El vici birra-crucis, emmené entre autres par la lead guitar d’Ivan Telefunken et l’e.organ loquace de Pascal, ou Green fuzz où ce dernier s’illustre à l’accordéon et au melodica, l’illustrent merveilleusement.
On n’en est alors qu’à mi-parcours, celui-ci est déjà jalonné avec brio et l’aventure va se poursuivre avec le même plaisir, T.B jerk et ses riffs secs, son orgue électrique et ses relents surf, grimpant à son tour sur les cimes de la musique « autre » mais qui jamais n’égare son auditoire, de toute façon nécessairement averti et se situant aux antipodes de la mouvance sage et commerciale, en un mot rangée. Il y a de plus, dans ce disque, une âme et de la vie, l’association des intervenants se fait naturellement, par affinité évidente. Le très court Wunderbar séduit par sa répétition, puis déboule A wall of perrukes qui avec son kazoo et son toy piano fait dans l’infantile ou presque, de manière alerte et bien entendu avec panache. Ouvert mais cohérent, addictif, Traité de guitarres triolectiques explore et présente un combo qui visiblement prend plaisir à créer. Lionel et Marie Limiñanas apportent une touche non négligeable par leurs effluves psyché, greffées le temps de One of us.One of us.One of us à un piano dont les notes se frottent à une guitare noisy en diable. L’emprise est totale, le féru de chemins de traverse y trouvera plus que son bonheur. Les travaux les plus sereins sont enchanteurs (Dick Dale n’était pas de Bompas), on s’envoie à grandes goulées un Ramblin’rose repris à grand renforts de trompettes, tuba, farfisa et marimba, la force des musiciens tenant en leur capacité à imbriquer tous ces éléments.
Enfin, la subtilité de Yesterday man, « emprunté » à Chris Andrews, puis un I’m dead dopé à l’english horn mettent fin à un ouvrage parfaitement…ouvragé, à la fois ludique et maîtrisé, passionnant du début à la fin.