1996, Diabologum, combo de quatre toulousains , sort un « pavé dans la mare » qui fait suite à deux albums méritoires mais n’étant pas forcément restés dans les mémoires si ce n’est celles des plus fervents défenseurs de notre scène 90’s, fournie et inspirée.
#3, l’album concerné, constitue en effet pour « l’époque » une vraie surprise, osée, foutraque et au delà de ça cohérente, qui innove à l’instar d’un Sloy tout en creusant sa propre voie. Inattendu, un peu comme De la neige en été, son titre inaugural, le contenu marie guitares fracassantes ou plus finaudes, élans hip-hop et spoken word, piano et claviers, déstructuration et format plus « normaux ». Forcément marquant, sans égal, il se voit réédité par l’excellent label Ici d’Ailleurs, qui l’accompagne d’un cd bonus incluant onze titres issus de différents formats, parfaitement dans le ton de l’opus.
Côté album originel donc, on assiste à une fusion lettrée, ayant pour base d’habiles descriptifs du quotidien, des comportements et ressentis. Il faut fait crisser les guitares sur un rythme leste, Les angles suinte un trip-hop agité, obscur (l’imagination dans les samples est réelle), Une histoire de séduction se passe de toute vêture sonore ou presque, mis à part des sons fins et noisy qui cohabitent dans une curieuse harmonie. Le chant est narratif, parlé, #3 exige un effort d’assimilation mais le jeu en vaut la chandelle, à l’image d’A découvrir absolument et son ahurissant hip-hop noise, ou de 365 jours ouvrables qui se fait plus vif, moins déconstruit sans toutefois céder aux schémas reconnus. Les sonorités, triturées, sont singulières et enfantent des climats uniques. On revient à une apparente sérénité avec Dernier étage, instrumental paresseux aux vagues relents Loveless, puis La maman et la putain culmine dans l’étrangeté accrocheuse en reprenant, entre élégance sonore et déviance du propos, le monologue final de Françoise Lebrun dans le film de Jean Eustache datant de 1973. On en ressort bousculé, Un instant précis en mid tempo noisy-pop puis Blank generation, linéaire, validant et accentuant la singularité d’une sortie qui ne se livre qu’à l’issue d’écoutes attentives et répétées.
Près de vingt ans après donc, l’album n’a pas pris une ride, il ferait la nique à nombre de formations soi-disant originales et si sa ressortie s’imposait, histoire comme le dit Michel Cloup de le faire exister à nouveau, c’est aussi ce cd bonus de valeur qui la crédite.
Onze titres (issus des sessions de l’album, des EP’s liés à celui-ci, de compilations ou d’un split avec Manta Ray) , et un quasi #3 bis, y sont joués et sans tarder, les guitares de La réincarnation c’est l’avenir, appuyé et doté encore une fois de textes estimables, puis C’est presque trop beau (en effet!), un peu dans cette même veine pop-rock furibarde teintée d’éléments musicaux autres, font sensation. Il y a ici, de façon globale, le même côté dispersé/cohérent que sur le #3, et Flood balance sans coup férir un brûlot noisy-punk direct et braillé. Diabologum surprend, étend sensiblement son registre et celui de l’ère à laquelle il appartint; même le remix d’A découvrir absolument, spatial et bruitiste, vaut l’écoute.
On pourrait ainsi s’arrêter à chaque titre, en vanter les mérites tant la réédition initiée par Ici d’Ailleurs fait figure, contrairement à la volonté de ses géniteurs, d’événement et s’avère à la hauteur des sorties actuelles, voire supérieure. Elle n’en est donc que plus pertinente encore, Quelque chose pour hier soir remet en avant le duel propret/noisy et un spoken word qui par sa nature même donne une coloration unique au disque et incite à prendre en compte une plume aussi décisive que l’instrumentation. Do you wanna have a party lorgne du côté des Beastie Boys, A côté laisse défourailler les guitares, qui soulignent une diction « maison », Autre chose confronte sons presque jazzy et noisy, Tous les mots disent la même chose privilégie la seconde option et tout, ici, est accompli. Les références, s’il y en a, sont digérées; on pourrait citer Sonic Youth pour le noisy récurrent, Soul Coughing pour le brio des samples, entre autres (Local 16 studio), mais la recette appartient à Diabologum, à l’existence éphémère certes mais jalonnée de façon indélébile par ce #3 et maintenant par sa ressortie.
Laquelle prend fin sur un Et si nous n’avions pas été là l’histoire aurait été la même mais racontée par d’autres sombre (Daniel Darc y intervient, dans le chaos), orné par des samples discrets, qui breake pour ensuite prendre de l’ampleur sous le joug de sons à nouveau singuliers et d’un fracas final saisissant. Saisissant, comme ce rendu auquel il sera surement vain de trouver un égal, fut-il lointain, et qui invente presque un langage musical nouveau, que ce soit à sa sortie, en 1669 donc, ou même à l’heure actuelle. Ce n’est pas perdu pour tout le monde, donc, loin s’en faut…