Suite à une édition 2013 que je persiste à qualifier de bien trop prudente et convenue, le Festiv’art a dans un premier temps investi un lieu de renom, le Cirque d’Amiens, mais a surtout pris plus de risques, et affirmé une coloration rock de haute qualité, en conviant par exemple les énormes Heymoonshaker et les non moins roots et authentiques Wanton Bishops, Libanais sans concession aucune. Avec Airnadette, dont nous pûmes apprécier les sketchs hilarants sur fond de tubes de tout ordre et de toute époque, pour leur dégager le chemin.
Le vendredi étant un tantinet plus contestable, avec notamment la venue d’Igit, questionnable quand on sait, et quand bien même le Festiv’art a pris contact avec le gonze avant les « faits », qu’il a pris part à cette vaste mascarade qu’est The Voice.
Il n’empêche, le bonhomme a du talent, de la « voice » aussi, justement, transporte complètement quand il fait son Tom Waits (Million cigarettes), ouvre d’ailleurs de façon rude et a su se créer un univers accrocheur bien qu’influencé, grandement étayé par Like angels do, par exemple, ou Any sense at all. Ceci sans trop donner dans le conventionnel, même si ses quelques morceaux légers, moins « bifurcants », peuvent grandement ennuyer notamment quand le chant en Français se fait entendre. Entre rock, blues et effluves jazz ou terminaison reggae comme sur My home justement, c’est un concert globalement qualitatif que livre Igit, par ailleurs accessible et fort sympathique. Le public est un peu stupidement acquis (il se massait d’ailleurs très tôt devant le Cirque, parapluie déployé), après avoir subi -volontairement- les « dires » d’une télévision qui décidément fait de gros ravages chez les auditeurs et si l’artiste avait chanté Petit papa Noël, comme le remarquait à juste titre mon binôme du soir, il aurait tout de même été ovationné à grands renforts de cris extatiques. Fever, plébiscité par la « fine équipe » de Pagny (appréciez l’ironie..) concluant sa prestation en déclenchant bien sûr les vivats d’une foule bien plus rodée à l’écran rectangulaire qu’à la vérité rock et aux chemins de traverse. Mais mission (réjouir l’auditoire et livrer une prestation estimable) accomplie, tout de même, pour le garçon « from Paris ».
Bref, le concert fut tout de même bon, il importe de le dire et avant cela, le Old Moonshine Band aura excellé dans ses reprises racées et endiablées de folk et de bluegrass irlandaise. Cette clique isarienne, passionnée (la plupart d’entre eux, voire tous, prennent part à l’incontournable Celebration Days Festival du mois d’août), usant d’instruments inédits pour enfanter un répertoire entièrement personnel bien que repris, en s’appuyant donc sur une certaine originalité et un savoir-faire qui lui permet le meilleur en termes de rendu. Rien à redire.
Voilà pour le vendredi, jalonné par une bonne soirée et pourtant moindre en comparaison du samedi avec son redoutable enchaînement amené tout d’abord par Airnadette, entre théâtre et air-stage, dont les covers mémorables et autres attitudes déjantées, feront mouche, conclues par un drumming collectif sur un morceau des Queens of the stone age (bonne idée!). Le tout après avoir singé avec talent et cohérence collective accrue Prodigy et son terrible Firestarter mais aussi Lara Fabian et Mireille Mathieu ou encore les surestimés Rolling Stones. Ici, tout le monde est mis dans le même panier, celui du rire, et l’ouverture de soirée, bien qu’un peu longuette, est parfaite. (oui, je sais aussi rimer…).
Passé ce temps fort, voilà qu’une rasade blues-rock salvatrice nous est administrée par les Wanton Bishops, en quatuor sur scène, qui jouent une incroyable série de titres marquants et percutants, avec la rudesse et l’authenticité rock enfin décelables sur le Festiv’art. Superbes autant que sauvages, Nader Mansour, Eddy Ghosein et leur rythmique font feu de tout bois, balourdent de l’ancien savamment relifté et assènent des compos de dingue (Sleep with the lights on, démentiel, Bad liver and a broiken heart et ses choeurs, son harmonica aussi, enfiévrés, Oh wee (oh oui!, justement) et ses riffs bluesy, Smith & Wesson et ses grattes rageuses, son chant à la fois stylé et burné). Il y a là autant de delta blues que de garage poisseux, de rock’n’roll bas du front que d’indé sans baissage de froc et la recette, wild à souhait, prend aux tripes et pleinement. Cher Festiv’art, voilà, soulignons-le, un joli coup orchestré par ton équipe dont je salue par ailleurs, l’ayant honteusement omis l’année dernière, le travail acharné et passionné. Chers détracteurs, si vous me lisez, je vous embrasse…
Ceci étant fait, place pour la conclusion (avec pour renforcer l’événement, la tenue de l’Apérock dans le chapiteau implanté devant le Cirque) à Heymoonshaker, paire de génie oeuvrant dans un créneau entre dubstep, beatboxing buccal, blues et rock là encore sans écarts douteux ou salement commerciaux. Andy BaLcon (voix, guitare) et l’étonnant Dave Crowe (mouth percussing) se fendant d’une mixture de génie, aussi inclassable que fatale par son inspiration et sa singularité. Colly drop et son rock-blues aride illuminé par l’organe de Dave, Bethany Darling et ses saveurs rétro, un Cream F feeling du même tonneau et j’en passe, la symbiose entre ces deux anglais maintenant basés en France est conséquente et ces derniers insufflent dans leur répertoire des séquences dubstep, voire hip-hop en certains endroits dans le rythme, couplées avec ingéniosité à leurs essais blues mâtinés de rock’n’roll. Magistrale, leur prestation engendrera une ovation presque aussi nourrie que pour Igit -c’est dire…- et fera se lever une salle bien garnie, mettant fin dans l’intensité et hors de toute norme établie (ça aussi c’est louable) à une édition 2014 aboutie et sans faux pas par trop marquant.
Photos William Dumont.