Prolifique, inspiré, Ty Segall livre un nouvel album de dix-sept titres, ni plus ni moins, dignes dans le contenu comme dans le nombre d’un « bon vieux » Guided by Voices. Il a de plus la bonne et belle idée d’élargir son champ sonore, de l’éclaircir même quelque peu et évoque à certains endroits T-Rex tout en gardant sa force de frappe indé garage qui a fait sa réputation et continue ici à le servir grandement. La différence, c’est qu’il injecte là du groove et de la mélodie (Manipulator, en ouverture, qui justement ne manipule personne. On fait, ici, dans l’authenticité!), invite des gens de son « band » ainsi que des intervenants extérieurs qui peaufinent son rendu et lui donnent une coloration plus ouverte.
Le résultat est bien entendu excellent, Ty Segall fait partie de ces artistes qui déçoivent peu et le trio d’ouverture, avec le saccadé et presque pop-folk Tall man skinny lady, au chant racé, puis les élans psyché/bluesy non moins stylés de The singer, dans la foulée du morceau éponyme, incitent à la plus grande attention. Les guitares, volubiles, cinglantes, servent évidemment encore de base à des giclées « maison » (It’s over) et dans les pas dudit titre, Feel se fait plus léger sans cependant perdre de ces souillures garage et noisy qui charment les écoutilles et les régalent. Il n’y a sur ce disque rien à jeter, mélopées superbement chantées et plans massifs s’accouplent (The faker), à vrai dire tous les titres ou presque sonnent comme des standards savamment concoctés. De jolies incrustes folk (The clock et ses cordes) s’invitent et participent à ce festival sonique et qualitatif. C’est aussi le cas sur Green belly, aux petits motifs bluesy/country bien trouvés, on succombe et on écoute presque dans l’attente chaque titre dans l’attente du suivant tant la copie est concluante. Il va sans dire qu’on jubile devant les éclaboussures garage qui parsèment l’oeuvre (The connection man), ou encore face à ces petites finesses dont le bonhomme détient le secret (Mister mai et son feeling funky).
Manipulator est un coup de maître et passé la dizaine de titres déjà décortiqués, son niveau ne baisse aucunement, avec d’abord un The hand léger, spatial puis distordu, du plus bel effet. Susie thumb fuzze allègrement, Don’t you want to know (Susie) nous invite dans un premier temps au coin du feu avant de se faire plus griffu puis laisse un burné The crawler appuyer sur la touche rock sauvage pour prolonger l’envoûtement.
Eclaté mais malgré cela cohérent, l’ouvrage livre enfin trois autres pépites, à commencer par Who’s producing you?, à la fois alerte et saccadé, finaud et sali, suivi par un The feels un peu du même accabit, assez haut perché mais zébré par de brefs excès sonores. Et en toute fin, un Stick around subtil et céleste qui achève donc un opus flamboyant, sans réel équivalent cette année dans le genre et d’un point de vue qualitatif…