Militants, foncièrement et intelligemment militants, les Ramoneurs de Menhirs emmenés par Loran, l’ex-Béru et inlassable dénonciateur de talent, sortent avec Tan ar bobl leur troisième album. Ayant eu à déplorer le départ de Momo (Maurice Jouanno), ils enregistrent en revanche l’arrivée de Gwenael Kere et gardent non seulement cette identité forte, ce mélange trad/punk d’excellence qui les distingue grandement, mais aussi leur cohérence, qui semble même s’affirmer plis encore sur les onze morceaux irréprochables qu’offre le disque.
L’enracinement breton est plus que jamais porteur mais se pare d’une ouverture au Monde bienfaisante, l’énergie punk brute qui s’y adjoint tout autant et d’entrée de jeu Son ar gewier, menterie traditionnelle issue de toute évidence des effets de l’alcool « maison » breton, sème l’euphorie, diablement mise en son, avec force chants scandés. Les Ramoneurs de Menhirs, non contents d’enfanter un genre complètement neuf tout en devant autant à l’actuel qu’à l’ancien (cependant dominant), ajoutent à leur révolte une lueur d’espoir, une belle lucidité et concèdent à l’auditeur un bonheur musical constant. Le début d’album est d’ailleurs parfait, Ni veway lie morceau traditionnel kabyle et mélodie du barde breton Youenn Gwernig, une instrumentation régionale dansante et alerte à souhait se fait griffer par une gratte aux riffs durs et inutile de tergiverser, on sait, on pressent déjà une rondelle de folie. Recours au Breton évidemment, clins d’oeil à des provenances diverses (Grèce sur Exarhia, Ukraine sur Makhnovtchina), reliftings de traditionnels punk-rocks (Viva la revolution), le groupe fait feu de tout bois, met en avant des mariages improbables qui, sous son joug, prennent forme et s’avèrent parfaitement équilibrés, validant de plus brillamment l’insoumission permanente de ces fouteurs de joie inventifs à souhait, symboles d’un courant dont ils sont désormais les dépositaires. En phase directe bien sûr avec l’ère Béru et la soif de liberté, le refus de voir se resserrer l’étau sociétal qui en découlait.
L’esprit et le procédé accouchent de sacrées réalisations, telle Ibrahim, morceau…des Béru justement, couplé ici à une danse kas a-barh et bénéficiant de ce fait d’une force de frappe toute nouvelle. Bombarde et binious engendrent des trémoussements incontrôlés, Ar we’enn -avalow, ode au pommier et par conséquent au cidre breton, enivre comme le ferait ledit breuvage et à vrai dire, c’est l’ensemble qui captive, doté d’une inspiration jamais prise en défauts, alimentée qu’elle est par la forte coloration mondiale et régionale qui la caractérise. Textuellement, ça cogne aussi, avec une belle acuité, c’est offensif et libérateur. Pussy riotal parle rien que par son intitulé, le registre est à la fois mordant et joliment folklorique, les chants se répondent et se complètent en ayant pour verte de renforcer l’attrait, déjà conséquent, du disque. Hir ew gwenin flingue le machisme, promeut l’ouverture à toute forme d’orientation sexuelle et ainsi se fonde une forme novatrice de subversion, séduisante par le son autant que par le verbe.
Tan ar bobl s’appréhende d’ailleurs comme un tout indissociable, dont aucun morceau n’est à écarter. Il fédère, unit autant qu’il se veut uni, lorgne du côté du peuple touareg sur Azawad dieub, fait preuve d’une vitalité communicative et file l’irrépressible envie de lever le poing. Il prend fin avec Ar paotr disoursi, merveille de gavotte de l’Aven chantée avec maestria, encore une fois, par Louise Ebrel et faisant référence aux enfants terribles, ceux qui refusent d’entrer dans le moule. Tout un symbole, en conclusion d’un ouvrage plus qu’accompli, signé par un groupe dont l’une des prouesses -elle n’est pas des moindres- est de rendre le quotidien moins lourd en rassemblant autour de son univers, attractif à tous points de vue et délibérément hermétique à la « bien-pensance » néfaste qui y est souvent soigneusement et talentueusement…ramonée.