Oeuvre d’une profondeur insondable, d’une beauté déchirée par ses écarts soniques, ce nouvel album de Mendelson AKA Pascal Bouaziz et ses trois volets, dont un impressionnant Les heures, de cinquante-quatre minutes, placé au milieu des deux autres parties du disque, est de ceux qui feront date. Et se démarquent inexorablement, tant par leur contenu que par leur singularité, leur approche décalée, à l’inspiration troublante. Inspiré par le mal, celui porté à l’âme, on y entend une voix presque distante, et pourtant terriblement pénétrante, dépeindre la désillusion, narrer la douleur, caresser brièvement l’espoir, et de longs formats allier sérénité jazzy et fracas « Sonic » puisqu’évoquant clairement Sonic Youth et ses dérapages noisy (La force quotidienne du mal en amorce, premier essai flamboyant aux dix minutes zébrées de guitares distordues, triturées, comme symbole sonore des maux décrits par Bouaziz).
Une seconde vie, sur la première rondelle, instaure une tension presque palpable, le verbe est d’une évocation confondante et une fois les cinq titres « digérés », on se trouve face à cet édifice menaçant, froid et grinçant (dans ses moments les plus obscurs, Mendelson est aux confins de la cold-wave) et malgré cela d’une élégance absolue. Lucide, d’une acuité étonnante quant au désabusement inhérent au quotidien, Mendelson purge l’humain, le plonge dans une noirceur dont un tel ouvrage pourrait bien l’en ressortir purifié, soulagé d’un fardeau que seul le son, le verbe, peuvent alléger sans toutefois l’éliminer. Monumental, Les heures n’a pas d’équivalent, tient en haleine autant qu’il essouffle, n’offre en dépit de sa durée étendue aucune prise à l’ennui, loin s’en faut.
A l’issue de cette pièce majeure se présente donc la dernière série, incluant cinq titres aussi lucides, aussi justes que cruels dans ce qu’ils révèlent (Ville nouvelle), où les batteries éparses mais assénées couplées à des guitares entre subtilité et sauvagerie soudaine soulignent une plume constamment éloquente, splendide dans le tourment. Trois compositions dépassent les dix minutes, certaines restent -faussement- sereines dans le son (Une autre histoire). Le jour où, plus court, transpire une sorte de trip-hop sombre et Je serais absent, second de ces deux morceaux plus brefs, se dépare de ces guitares assassines sans pour autant que le contenu y perde de son impact.
Entre temps, L’échelle sociale, lancinant, à l’arrière-plan lugubre, bruitiste et dans le même temps racé, aura à son tour accentué le malaise et accru l’accroche, unique, d’un album qu’on vit autant qu’on l’écoute, de façon intense et merveilleusement désespérée.