Suite au somptueux Vanishing Waves, BO qui fait elle-même suite à un étincelant Big issues printed small, questions à un artiste hors-pair, au talent et à la sensibilité décisifs, générateurs de productions brillantes…
1. Pour revenir sur ton début de carrière, que tires-tu de ton expérience avec AS Dragon?
J’ai commencé à travailler avec Bertrand Burgalat en 1998. J’avais reçu une bourse européenne pour faire un stage dans son studio à Paris.
Finalement, du coup, pendant trois ans, je me suis lancé dans divers projets : enregistrements, tournées, etc… Après l’enregistrement de l’album « Présence humaine » de Houellebecq, Bertrand et les autres musiciens sont retournés à leurs projets respectifs et je me suis retrouvé tout seul avec une tournée à commencer et donc de nouveaux musiciens à trouver. C’est comme ça qu’on a créé AS Dragon. On est parti en tournée pendant plus d’un an avec Michel et on a eu des projets communs après ça, dont un remix pour Depeche Mode. Quand Bertrand a fermé son studio en 2002, j’ai quitté Paris et je me suis installé à Berlin. Les autres membres du groupe ont voulu continuer à jouer ensemble et ils ont embauché Natacha comme chanteuse.
2. De la même façon, que t’a apporté la création de ton label, il y a bientôt 10 ans, et tes nombreuses productions et collaborations, d’ailleurs toujours d’actualité?
Après la sortie de mon premier album solo, je n’ai pas arrêté de tourner et ce jusqu’à l’enregistrement du deuxième. J’ai beaucoup apprécié cette vie-là mais j’ai dû refuser pas mal de projets à cette époque et je l’ai regretté par la suite. En 2010, j’ai décidé de faire une vraie pause pour me consacrer à d’autres artistes à travers des albums, des films…
Ma dernière sortie sur le label Nest & Sound, c’est Marie Modiano avec Ram On A Flag et Espérance Mathématique.
3. France, Allemagne, Suède; tu mènes visiblement une vie de « baroudeur ». Est-ce d’un apport certain dans tes créations musicales?
En fait, je n’aime pas beaucoup voyager et bien que j’aie vécu dans pas mal de villes différentes dans ma vie, je voyage très rarement par plaisir. Pendant ces années, j’ai développé une relation conflictuelle avec mon pays d’origine, la Suède. Elle me semble à la fois très familière et très étrange. Cela s’explique certainement aussi par le fait que la Suède ait connu une véritable révolution pendant les 15 années que j’ai passées à l’étranger. Son passé socio-démocrate a été remplacé par les politiques les plus libérales d’Europe. Mon premier album était comme un parcours archéologique dans la musique de mon enfance :les instruments à vent de l’Armée du Salut, l’harmomium et les choeurs, tous sont connectés de façon permanente à mon enfance.
4. Concernant la BO de Vanishing waves, comment as-tu été amené à la composer?
Kristina, la réalisatrice, avait une idée très précise de ce qu’elle voulait comme musique. Son directeur artistique Bruno Samper a une grande culture musicale et il m’a bien aidé à comprendre ce qu’elle attendait. L’idée était de travailler d’abord sur une musique romantique dans la tradition des compositeurs contemporains de l’Europe de l’est, dans le genre de Gorecky ou Pärt. L’orchestration a été faite par un de mes meilleurs amis, Martin Hederos, à Stockholm.
En parallèle, je composais une musique d’ambiance en utilisant des guitares électriques et toutes sortes d’instruments mécaniques, pianos, orgues…et même une petite table de mixage connectée par une dizaine de fils électriques à des amplis réglés à un volume beaucoup trop élevé. Ma référence était un peu ces bandes sons de science-fiction avant la période des synthés. Le plus difficile a été que l’on n’avait aucun son du film ni même quelques dialogues. L’ingénieur du son a fait un travail fantastique, je trouve. Il nous a expliqué plus tard qu’il avait construit tous les bruitages et sons du film à partir de la bande son au lieu de faire l’inverse.
5. Si je te dis que ce travail d’illustration sonore d’un film m’évoque autant Sonic Youth que Yann Tiersen, le symphonique ou l’electro voire l’univers industriel, approuves-tu ce « raccourci », aussi « approximatif » soit-il?
C’est très flatteur !
6. Pourquoi le choix de deux chants féminins, -Marie Modiano et Maya Villanueva-, d’ailleurs magnifiques, pour la BO de Vanishing waves?
Un de mes amis qui est un compositeur d’opéra célèbre m’a présenté Maya Villanueva. L’idée était de faire chanter une voix « libretto » dans une langue imaginaire, entre une langue d’Europe de l’est et le latin. Marie Modiano, avec qui je travaille souvent, a eu la gentillesse d’enregistrer les voix pour la démo. Kristina est tombée amoureuse de sa voix et a décidé de la garder pour la version finale et de la créditer.
7. Il y a dans le contenu de ce dernier ouvrage autant de splendeur que d’écarts sonores, autant de pureté que de dissonance élégante; est-ce un filon que tu comptes exploiter à l’avenir ou n’as-tu encore aucune idée de ce qui suivra?
Comme vous pouvez l’imaginer, le budget d’un tel film n’est pas très élevé. Les petites solutions créatives auxquelles nous avons eu recours au fur et à mesure pour compenser le manque de moyen étaient sans doute positives et apportent encore un peu plus d’étrangeté à cette musique…comme c’est souvent le cas !
En ce moment, j’ai un projet d’orchestre symphonique. C’est un nouveau ballet qui sera présenté pour la première fois en novembre de l’année prochaine à Umeå, dans le nord de la Suède. Je travaille une fois de plus avec Martin pour les arrangements.
8. J’imagine que tu te sens proche dans le style et dans l’esprit de Limousine, ce groupe français qui figure sur ta BO?
Kristina a filmé toutes les scènes avec la musique, les acteurs ont donc suivi ce mouvement pendant tout le tournage. A un moment de la post production, le producteur n’arrivait pas à obtenir les droits d’utiliser la musique dans le film, malgré l’accord du groupe lui-même. On m’a alors demandé d’écrire une nouvelle musique dans le même style pour la remplacer, j’ai catégoriquement refusé de le faire. D’abord, elle aurait été très difficile à remplacer, et puis il aurait fallu complètement refaire le montage. De toute façon, le film aurait été moins bien…
9. On pense aussi très souvent, à l’écoute, aux géniaux Islandais de Sigur Ros; est-ce une influence directe et as-tu écouté leur tout dernier album, qui marque un virage plus dur merveilleusement maitrisé?
Je n’ai pas encore entendu leur nouvel album mais je vais le faire bientôt !
10. L’écoute de Vanishing Waves, OST m’ayant captivé, je n’ai pu résister à l’envie de réécouter toute ta discographie, enchanteresse pour les sens; gardes-tu la flamme et l’envie de composer, de créer, sans jamais « fléchir »?
Merci beaucoup pour ces compliments ! Tu sais, j’ai commencé à faire de la musique comme beaucoup d’adolescents en Suède à ce moment-là parce que je n’étais doué ni en foot ni en hockey sur glace. C’étaient les seules occupations extrascolaires disponibles pour les gamins de classe moyenne dans les années 70 en Suède. Répéter avec son groupe dans un garage était la troisième option. Je pense honnêtement que c’est vraiment une des raisons pour lesquelles il y a tant de groupes connus qui viennent de Suède (le troisième pays exportateur après les Etats Unis et le Royaume Uni, pas mal, non, pour un pays de seulement 9 millions d’habitants?).
Je n’ai jamais su lire la musique et je n’arrivais pas à retenir les chansons des autres, j’ai donc commencé à écrire les miennes (forçant ainsi les membres de mon groupe à jouer plutôt mes chansons à moi). Je n’ai jamais vraiment appris à faire autre chose correctement dans ma vie, donc je crois que je vais devoir continuer à composer de la musique !