Rappeur-poète avant tout « penseur », Abd Al Malik, outre le fait de convoquer dans ses albums les pensées de Césaire, Verlaine ou encore Spinoza, porte maintenant le projet d’une relecture de L’Envers et l’endroit de Camus, constitué de nouvelles et écrit à Alger en 1937. Support selon lui à la quête de l’idéal humain et artistique, il est venu en faire son interprétation au public amienois, venu on s’en doute en nombre se délecter de sa verve.
Le moins dire étant que pour le coup, on en a pris plein…la pensée, l’artiste issu des quartiers difficiles de Strasbourg se livrant à une réinterprétation magistrale et profondément humaine, tantôt en solo, tantôt accompagné de musiciens à l’écrin distingué, d’une des figures de la littérature française. Habité -on sent que l’oeuvre de Camus est pour lui fondatrice, éminemment inspiratrice-, l’homme intelligemment engagé qu’est Abd Al Malik captive par le mot, les mots mis sur les maux, et engendre une pensée sinon nouvelle, tout au moins novatrice, illustrée entre autres par le constat selon lequel « Il n’y a pas d’amour de vivre sans désespoir de vivre ». Entre dureté de l’enfance et du quotidien, pauvreté et, au delà de cela, refus d’un déterminisme social réducteur et par trop fatal, le spectacle créé est renversant de classe. Philosophe musical, notre homme se met en scène, théâtral car passionné, déclame avec brio, slamme avec ingéniosité au sujet de la condition humaine et prône tout autant la mixité dans l’humanité que la pluralité, elle aussi prégnante, musicale.
En résulte donc une heure et demie d’ode à l’existence, de narration réaliste et ajustée, qui se vit plus qu’elle ne se dit, profonde et sans manière aucune. Et un show d’exception dont le seul « défaut » est à mon sens de recourir de façon trop récurrente à la lecture, sans toutefois entacher la qualité d’un « concert » exceptionnel.
Photos William Dumont.