A l’écoute, [4] est de toute évidence abouti et constitue l’amalgame personnel et ajusté de vos influences, d’ailleurs diverses; pensez-vous pouvoir encore « défricher » à l’avenir le terrain musical qui vous est propre?
YNK : Oh ça oui… Mais ça fait partie de nos réflexes de composition les plus ancrés et solides. Ca a toujours été une obsession pour nous de faire de la cuisine musicale, des mélanges d’univers musicaux différents. On s’efforce de respecter la limite d’un seul album par mélange, pour essayer d’avoir un univers sonore marqué par album, et leur donner une personnalité propre, derrière leur numéro. C’est pourquoi ce dernier album est particulier, puisqu’on a voulu mélanger nos influences les moins « sales », et se rapprocher le plus possible d’un hommage au Rock Progressif et plus particulièrement à l’album Foxtrot de Genesis, qui a toujours été un des moteurs les moins flagrants de HEET SEAS. Avec le recul, cet album est varié, mais nous pensons qu’il est le plus cohérent et constant du début à la fin, on a évité de trop passer du coq à l’âne d’un morceau à l’autre. D’ailleurs, le fait de confier le son de l’album à Maxence Collard et son submersible rentrait également dans cette volonté de faire un album « à l’ancienne », avec une console analogique, en finissant d’écrire les morceaux au fur et à mesure, et en étant très pressés par le temps. C’était une nouvelle façon de créer un album pour nous, et on en tentera une nouvelle sur le suivant, c’est notre façon de renouveler HEET SEAS pour garantir la richesse de l’oeuvre dans sa globalité, ce à quoi je pense beaucoup. On a aussi essayé une nouvelle façon d’élaborer les parôles, qui a pour moi vraiment porté ses fruits sur cet album, où il y a énormément de chant comparé aux autres. Sur les trois précédents, je chantais des paroles choisies pour leur son, ce qui garantissait un immense bordel narratif bourré de fautes de grammaire, souillé par des effets vocaux exagérés. Sur ce dernier album, l’histoire étant très importante, j’ai pris soin de l’écrire en français, en entier, avant de la soumettre à Vyküü pour une traduction anglaise très propre, avant de l’improviser devant le micro du Sous Marin.
Quel a été l’apport de Maxence Collard, du studio Le Sous-Marin à Amiens, dans l’enfantement de [4]?
On se disait que la musique de HEET SEAS ne serait pas la tasse de thé de Maxence, puisqu’on part toujours perdants dans notre région natale. Mais c’était l’occasion de voir quel autre regard sur notre son pourrait avoir un professionnel comme lui. J’ai tendance à vouloir être partout, tout le temps, pour veiller à ce que notre album devienne exactement ce que j’imagine à la base, donc ça a été dur de laisser la plus grande marge de manoeuvre possible à Maxence. Ca a été fatiguant et sportif de trouver des compromis entre nos deux cultures du son, on a fait des paris parfois risqués sur le timing (notre morceau Open Skies, de 25mn et plus de 150 pistes -record du sous marin-), a été mixé en l’espace d’une seule très longue nuit) mais on a réussi à sortir l’objet tel qu’on l’a joué en une poignée de jours, et Maxence a fait un excellent travail sur cet album ; je salue sa patience et son professionnalisme. C’est un très chouette gars .
Vous oeuvrez maintenant en trio, après quelques changements dans le line-up; est-ce d’après vous votre formule définitive et « la meilleure » dans l’optique de la vie de groupe et de ce qu’elle inclut?
Dans le cas de HEET SEAS, le line up n’a pas d’influence sur ce qu’on trouve sur album. Le plus important dans la composition du groupe, c’est de conserver une entente parfaite entre les membres, et d’être assez compétents pour jouer sur scène nos morceaux. Depuis deux ans, nous ne sommes évidemment pas assez nombreux et notre voeu le plus cher serait de compléter notre noyau dur avec d’autres membres (appel aux guitaristes, claviéristes, batteurs, percussionnistes, bassistes,…), mais par chez nous, c’est très dur à trouver. Nous sommes par contre très heureux de travailler nos vidéos avec des motion designers, Fabrice Sergent et Stef Torzynski, très talentueux et je les considère comme de vrais membres du « collectif » HEET SEAS.
Heet Seas et Speed Science étant plus ou moins en « géométrie variable », vous est-il facile de vous y retrouver entre les deux? Parvenez-vous à ne pas vous disperser pour ne pas mettre à mal l’identité de l’un et de l’autre, différentes?
Ces deux groupes existent depuis pas mal d’années et pourtant les points communs, hors line-up, sont quasi inexistants. Il y a une base Metal Indus des deux côtés, mais l’essence de Speed Science est le Metal, et l’electro chez HEET SEAS. Je suis le compositeur attitré de HEET SEAS et Batt est celui de Speed Science, quant à Vyküü, son rôle de compositeur intervient dans d’autres projets également. Tant que ce régime, d’ailleurs très naturel, sera conservé, il n’y aura aucun risque de dispersion. Notre public n’est d’ailleurs pas du tout le même.
Ynk, tu es sans conteste la « tête pensante » de Heet Seas, qui passe un temps certain à composer, bien épaulé par Batt et Vyküü. D’où te vient cette facilité à la création?
Je ne sais pas si c’est plus facile pour moi de composer que chez les autres, mais c’est souvent rapide. Les trois premiers HEET SEAS sont sortis en moins de 2 ans, mais le 4e a mis trois ans à se faire! Le souci pour moi, c’est que c’est extrêmement aléatoire. Si l’inspiration arrive, alors j’ai immédiatement les mélodies de plusieurs couches de synthés, des certitudes sur les sons, des rythmiques de batterie, des riffs, des lignes de chant, qui me permettent de sortir un morceau de HEET SEAS quasi fini et relativement streamable en moins d’une semaine. Si je compose des petites phrases musicales de temps en temps de façon disparate, je peux être sûr de tout jeter la semaine suivante. Je dois donc toujours m’attendre à ne RIEN composer pendant plusieurs mois, en attendant que l’inspiration vienne, au coin d’une rue. Quand ça arrive, je roule très vite vers chez moi pour m’enfermer dans mon home studio et commencer le morceau qui peut être presque terminé le lendemain. C’est une façon de composer que nous gardons dans HEET SEAS, pour que tout reste homogène, mais nous ferons évoluer ça à l’avenir, en laissant plus de place à l’interprétation des membres, et peut être même en faisant évoluer les morceaux selon l’avis de nos fans (ce que nous n’avons jamais fait jusqu’ici). Evidemment, si nos morceaux ne tenaient que sur guitare + voix, ce serait moins complexe à gérer.
Vous jouez à ma connaissance encore peu sur scène; n’est-ce pas frustrant au regard du contenu musical conséquent dont vous disposez?
Nous en sommes au point où nous n’attendons plus rien de notre propre région, et encore moins de notre propre ville. C’est un découragement naturel face à la frilosité systématique des organisateurs de programmer un groupe pas assez métal pour une affiche métal, et trop metal pour une affiche rock. Je ne veux plus que notre groupe se retrouve à faire la manche uniquement pour jouer, surtout que la Picardie semble être championne dans l’art du risque zero. Depuis deux ans, nous avons beaucoup travaillé pour adapter nos morceaux sur scène, et c’est un immense gâchis de voir le peu de concerts que nous faisons. Je réfléchis à un concept alternatif pour le live, faisant davantage confiance aux avancées du streaming sur le web plutôt qu’au système salle-asso-etc qui continuera à nous ignorer. Un plan B avant que l’indifférence de cette région ne tue notre plaisir de jouer. Ca peut devenir un de nos gros projets sur 2014.
Etant Picards, quel regard portez-vous sur les groupes de votre région et les apports possibles en termes de structures? Olivier, de The Blue, jugeait par exemple ces dernières insuffisantes…
Quand on a décidé de redevenir un groupe « live » en 2011, je me suis demandé à quoi ressemblait la scène locale (sur Amiens en tout cas). Les scènes faciles d’accès avaient fermé il y a longtemps (Le Babylone par exemple, idéal pour des rdv réguliers), et les SMAC, surtout la Lune des Pirates ont fermé leur programmation a une fourchette extrêmement réduite de styles. Nous nous sommes retrouvé dans prise de son 2012, au milieu des groupes habituels du coin. En hors sujet total, il était même impossible pour le Patch, malgré les promesses, de nous ouvrir les portes de La Lune des Pirates, alors que ça fait évidemment partie des missions d’une SMAC comme LLDP de faire place à tous les genres musicaux. Un autre des engagements de cette salle, que le Patch n’a pas non plus essayé de faire respecter malgré nos voeux, est de permettre à un groupe local d’organiser une soirée pour la sortie de son album. Ca a été le cas pour Sobo, mais pour nous, il en était hors de question, malgré la sortie simultanée de notre album [4] et qui plus est notre présence dans prise de son 2012. Ce n’est que notre point de vue et ça n’engage que nous, mais vu d’ici, tout ça semble pourri de l’intérieur. S’il faut jouer la carte de l’hypocrisie en renflouant le bar de la Lune des Pirates tous les soirs pour espérer y jouer, ça ne risque pas d’arriver. Ce n’est pas notre cas, on ira chercher notre chance ailleurs. Voilà une partie de mon point de vue sur la musique à Amiens. Quant aux groupes, à part quelques initiatives originales, comme The Blue, je suis sidéré par le décalage complet entre ma culture musicale perso et ce qu’est devenu la majeure partie de la scène amiénoise. Plus cette tendance grossit, et plus elle semble ringardiser des tas de genres musicaux qui n’ont aucune raison de l’être (des genres musicaux qui sont pourtant très à la mode dans beaucoup d’autres villes justement). Et l’arrogance puérile de certains de ces groupes amiénois à l’égard de leurs congénères achève mon envie de m’y frotter.
Pouvez-vous nous en dire plus sur Art Niak, l’asso que vous avez créé avec Aurélie Gallois, par ailleurs « maman » du groupe?
Maman du groupe, non. Aurélie Gallois a créé et est présidente de Art Niak, et met en avant HEET SEAS autant que les autres groupes de l’asso, comme SPEED SCIENCE, YRZEN et SPELLBINDING par exemple. Son rôle dans HEET SEAS est un rôle de manager administratif. Nous lui devons le succès absolu de notre recherche de subventions pour produire l’album [4], en menant l’opération avec une rigueur extrême. Elle en est également une sorte de gestionnaire et n’hésite pas à mettre le groupe en avant, mais c’est le groupe lui même qui assume les fonctions habituelles de booking, de communication et d’organisation. Ses activités dans Art Niak s’étalent sur tellement de domaines artistiques différents que son temps est très divisé, et nous ne pouvons en abuser. Le patch préférait également voir Aurélie Gallois comme la maman du groupe, ce qui était une manière de ralentir et complexifier inutilement nos rapports avec eux, puisque c’est moi qui le dirige, ce qu’ils préféraient ignorer. Je n’ai pas le charme de notre présidente d’asso, j’en suis le premier contrarié.
Vous vous appuyez sur un concept semble t-il « singulier » dans l’élaboration de vos albums; quel est-il exactement?
Il n’y a pas vraiment de concept global… Chaque album raconte une histoire, qui doit toujours être très éloignée des autres dans la narration, le cadre, le ton. J’écris un album selon un thème défini, puis j’en raconte une histoire sous forme de fait divers, en mettant l’accent sur les personnages, les situations, en cultivant le flou du décor, du monde dans lequel ça se passe. Cultiver ce côté psychédélique et absurde, dont les seuls détails que nous donnons sont ce que la musique peut inspirer, et la pochette. En abordant des thèmes différents, ce monde se dessine peu à peu sur la globalité, et il sera de plus en plus facile d’imaginer à quoi ressemble l’univers de HEET SEAS, une fois l’album [5] terminé. En gros, si chaque album raconte une histoire en particulier dans un seul monde très vaste, alors il nous reste énormément à raconter, y compris via les projets qui suivront HEET SEAS.
Quels projets pour Heet Seas à terme?
Nous écrivons l’album HEET SEAS [5], plus tôt que prévu, qui clôturera la tétralogie. Il sera la synthèse de tout ce que nous avons fait depuis le premier album, puisqu’il bouclera la boucle, dans un festival d’ambiances et de sons Electro-Punk-Metal-Indus-Prog-Wave, très éloigné de HEET SEAS [4]. Un album de reprises se compose doucement. Nous travaillons avec Art Niak sur des projets qui devraient beaucoup servir le groupe à l’avenir. Et là, tout de suite, nous travaillons avec Batt et nos excellents motion designers sur nos trois premiers clips concernant Stupid Game, Ode For White Noise et Brotherhood About Dogs (de HEET SEAS [3]).