1. Martin Angor…une appellation qui fleure bon la cold et la new-wave, courants visiblement inspirateurs de tes travaux; tu confirmes?
La cold et la new-wave, je viens de là, j’ai à peu près le même âge que toi, non ? J’avais 15 ans en 85. Ces courants ont été inspirateurs car j’en étais acteur. Je participais même, à la seule émission de radio Cold qui était diffusée dans la région à l’époque. Radio Activity sur Radio Mercure. Dans le studio on croisait les animateurs de l’Enfer Vert, une émission Punk. La tension était à son comble ! La cold était un tout petit milieu, j’avais 16 ans et j’étais guitariste de Lucie Cries. Le groupe marchait vraiment bien, même à l’étranger. On sortait des albums, des compilations, il y avait encore plein de fanzines. Le mouvement se cherchait, tant au niveau musical, esthétique que politique. L’euphorie punk était retombée, tout était à reconstruire. Il y avait de très bons groupes dans l’Oise. Clair Obscur et Die Bunker.
De cette époque, j’ai gardé le goût de l’expérimentation et d’une certaine exigence au niveau des textes. D’où mon intérêt et amusement aussi pour les jeunes qui se relancent dans l’exploration de ces contrées glaciales. Sobo, dont j’ai mixé l’album, me parait être l’un des groupes les plus dignes à rendre hommage à ce courant. Ils ont une vraie personnalité, ils ne se contentent pas d’imiter. Un vrai groupe, des copains de lycée, une alchimie qui me rend souvent jaloux ! Il ne faut pas idéaliser cette période non plus, nous étions qu’une poignée à écouter Joy Division et Bauhaus au Lycée. La plupart des gens écoutaient Indochine, Duran Duran et Georges Michael ! Rien ne change. Et la new-wave c’est aussi ces milliers de groupes ridicules que l’on appelait « les garçons coiffeurs ». Et ils sont revenus aussi ceux là, avec le revival! Les années 80 c’était aussi l’une des dernières décades à ne pas faire référence à un courant passé. Je ne m’imaginais à 17 ans en train d’imiter la musique et le look de mes parents !
Ensuite, il a fallu oublier ces influences, car c’était très réducteur et sectaire comme mouvement. J’ai du refaire ma culture musicale dans les années 90, écouter du Kraut Rock, Léo Ferré, de la musique contemporaine, David Bowie, beaucoup, les Beach Boys, le Velvet. Et puis tout le reste, la littérature, la peinture, le cinéma.
2. D’où provient cette agileté verbale gentiment déviante dont tu fais preuve? Est-ce essentiellement le quotidien qui te l’apporte?
Je pense que le réel m’inspire, mais d’une façon détournée. Je fais très rarement allusion à mon quotidien. Je ne sais pas raconter des histoires non plus. Je ne suis pas un chanteur réaliste. Je pense que ce sont mes rêves qui m’inspirent le plus. Je les note avec grand soin. J’ai été très marqué dans ma jeunesse par le surréalisme. C’est à travers le prisme des rêves que j’aborde le réel, les choses qui m’ont marquées.
De cette manière, les choses sont plus floues et cela laisse plus de place à l’imagination de l’auditeur. Et puis une fois passé ce filtre, il ne reste plus grand-chose de la réalité.
Quelques détails importants, des grandes lignes. Mes chansons parlent surtout de la mort, de mes peurs, de la fin du monde et de la sexualité, beaucoup de la sexualité. Tu connais beaucoup d’autres sujets important?
J’écris en français. C’est terrible cette langue. Ca ne pardonne pas. Cela demande une certaine exigence. Imagine moi chanter pendant tout un refrain « Sois chanceux » avec une voix de Robot, ça serait ridicule ! Pourtant je ne me considère pas comme un chanteur à texte, même si on me classe parfois dans cette catégorie. Ce terme est très réducteur. Je fais des chansons, c’est un genre complet qui implique une mélodie, un arrangement et un texte.
3. Tu collabores beaucoup, comme le montre le site de l’excellent label Depuis la Chambre; que t’amènent ces efforts communs?
J’ai toujours travaillé avec d’autres. C’est bien en soi, et ça donne un grand recul sur son propre travail. Parfois, il nait de grandes choses des collaborations. J’ai beaucoup travaillé avec Luc Spencer, le pianiste de Bertrand Betsch. C’est devenu mon grand copain. Je l’accompagnais et il m’accompagnait. C’était très éprouvant. Rien ne coulait jamais de source. On devait réinventer la roue à chaque fois. Parfois, il se mettait derrière moi à la guitare, je faisais les accords et il me disait « je veux que tu fasses ce rythme là ». Il faut savoir mettre son ego de côté. C’est très enrichissant.
Après, l’idée de « taper le b? »uf pour se faire plaisir », c’est moins mon truc. Ca se termine souvent par du blues sans intérêt ou chacun pousse son ampli à fond pour qu’on entende le petit truc qu’il sait bien faire. Je préfère le travail de longue haleine, même si l’improvisation est très importante en amont et en aval. J’aime aussi travailler pour d’autres médias, comme l’image ou la danse. J’ai écrit 4 ou 5 pièces pour de la danse contemporaine (Idéale Compagnie). C’est très différent de l’écriture de chanson de 3 ou 4 minutes. Les contraintes sont très différentes : « 1.17 mn paisible et ensoleillée, 2.14 minutes saturées sous opiacées, 1.12 mn en suspension »… J’adore ces contraintes.
Je suis d’ailleurs en train de créer en ce moment, une pièce qui, si elle voit le jour me demandera de collaborer avec différents corps de métier (scénographe, décorateur, chorégraphe, danseurs…). J’ai l’impression d’avoir la maturité pour enfin pouvoir m’attaquer à des pièces de plus grande envergure. Quelque chose de très sulfureux quand même ! Tu verras !
4. Que penses-tu de l’accueil réservé à ton album et tes prestations live?
L’accueil réservé à mon album (2009) fut d’abord très bon. AK47 s’est retrouvée sur la compilation de la rentrée des Inrocks, entre Dominique A et Jean-Louis Murat, avant que l’album ne sorte. Une critique excellente du titre puis de l’album, toujours dans les Inrocks, par JD Beauvallet en personne. Un roman, d’une auteur que je n’ai toujours pas rencontrée, « Mon amour Kalachnikov », dont le héros chante ma chanson tout au long du livre. Les radios ont commencé à suivre. Ensuite on s’est heurté aux problèmes propres aux petites structures, les distributeurs étaient timides, pas de clip, difficile de synchroniser sortie d’album et communication avec peu de moyens.
J’étais encore parisien à cette époque. Les concerts, je les ai fait, les bonnes salles, les bars pourris aussi, un peu trop. On se fatigue vite des bars. L’accueil était bon. Mais pas de tournée. J’aurais voulu tourner en France, au moins, à ce moment. Je changeais souvent le groupe à cette époque, j’avais l’impression de ne pas réussir à rendre sur scènes les arrangements que j’avais crée seul sur disque.
A vrai dire, la scène m’a souvent posé problème. J’ai longtemps pensé que c’était un peu le truc obligé alors que je préférais le travail de studio. Faire le zouave sur scène en disant « vous êtes chauds ce soir », c’est pas mon truc. Je voudrais que ce soit au moins aussi bien qu’un disque, avec des choses à voir en plus. On avait fait un truc très bien à la briqueterie, Martin Angor avec des danseuses. Je voudrais que ça soit toujours aussi bien. J’y travaille.
5. Tu es, en plus d’oeuvrer en commun de façon régulière, très prolifique à ton niveau personnel. Qu’adviendra t-il des nombreuses ébauches, que je sais prometteuses pour les avoir écoutés sur ton site, que tu as pu élaborer?
Tu en as écouté qu’un dixième ! J’écris beaucoup. Des textes, des musiques, tous les jours. Mais je suis très lent. J’enregistre beaucoup de versions différentes. Je travaille beaucoup avec des machines, c’est chronophage. Parfois je trouve le bon texte pour une musique quinze ans après l’avoir composée. C’est un travail de fourmi. Je ne jette quasiment rien, à part les trucs trop faciles, trop vulgaires ou trop dans l’air du temps. En matière de création, il n’y a pas de chemins qui ne mènent nulle part. Mon nouvel album est quasiment terminé, il y a encore un peu trop de chansons. Je ne le mixerai pas cette fois, je n’ai plus la distance suffisante, et j’aimerais utiliser ce temps pour un autre album et cette pièce dont je te parlais. J’ai encore assez de chansons pour 2 albums ensuite.6. Comment en es-tu venu à t’allier à Plexus Darius alias Babak Taghavi, talentueux musicien et ex (regrettés) Beyonders? Penses-tu creuser plus en avant ce travail à deux?
C’est une commande de la Lune des Pirates, de Fred Carré, je crois. C’était très bien. Plexus Darius est aussi intransigeant que moi. On a surtout bossé sur mes chansons, qu’il a « maltraitées » au possible. C’était un grand coup de fraicheur pour moi. L’arrivée du beat dansant, le non respect des harmonies originales. Je me suis plié à son travail de « remixeur ». On a également posé un texte à moi sur un morceau des Beyonders, je crois que ça marchait pas mal. Je pense que l’on refera au moins une scène, un endroit qui se prêtera plus au « beat » et à la danse justement. Je crois que le set à la comédie de Picardie a plu dans l’ensemble, les gens étaient curieux de voir ce qu’allait donner ce mélange. Nous pensons également sortir un EP, car, il faut tout de même laisser une trace de cette collaboration, ce sera un bel objet.
Cependant, Plexus Darius tient beaucoup à son indépendance et il a bien raison. Je pense qu’il a envie d’explorer beaucoup d’univers.
7. Le giron des groupes et musiciens amiénois, plutôt fourni, constitue t-il pour toi un soutien notable?
Quand je suis arrivé à Amiens, j’ai tout de suite était attiré par Oregone. C’est d’eux dont je me sentais le plus proche. Brice est notre Brian Wilson. On se ressemble quelque part dans notre façon de travailler, ce goût pour les arrangements qui fait qu’au bout d’un moment, les albums tardent à sortir ! L’envie de ne pas refaire ce qu’on sait déjà faire. Il est traversé par des mélodies à chaque instant. Il y a de très bons musiciens à Amiens. J’ai déjà pas mal pioché dans les différents groupes !
La plupart sont des amis. C’est ce qui est très différent d’avec Paris. C’est une chance.
Tu dois bien voir que les soirs de concert à la Lune des Pirates, tu croises en train de trinquer ensemble, Martin Angor, les Sobo, les ex Beyonders et Nathaniel Isaac and Smog…j’en oublie. Les autres ne sont jamais très loin. Je trouve ça génial. J’ai quitté Paris pour retrouver cet esprit. Je pense que le Patch et la Lune n’y sont pas pour rien. C’est une grande chance.
8. J’imagine que le choix d’appartenance à Depuis la chambre est tout sauf un hasard, vu l’esprit qui l’anime? Que t’apporte pour l’heure cette structure?
Depuis la Chambre me suit depuis C++. Glen Ropars est mon ami. J’ai une confiance totale en lui. On a vécu des choses vraiment bien. Il participe à chaque étape de la création, sauf l’écriture, et encore, il a son mot à dire. Il aime la musique. Il sait qu’il ne deviendra pas millionnaire avec la musique. C’est important. Il veut participer à l’élaboration de beaux albums. C’est la seule personne qui peut me dire « ce morceau est un peu léger, on ne le met pas sur le disque ».
Glen a une culture musicale importante. C’est un esthète. J’ai côtoyé des musiciens qui rentraient sur de gros labels. J’ai vu la pression qu’on exerçait sur eux, la façon dont on les jetait quand les objectifs n’étaient pas remplis. Et puis le nom de ce label, je ne pouvais pas rêver mieux! Ca me correspond tellement. Pour mon album on a enregistré certaines parties dans des gros studios, ça coute de l’argent au label. Et quand les pistes faites à la maison, depuis la chambre, justement, sonnaient mieux, et bien Glen n’hésitait pas à le dire, et on jetait tout.
Photos William Dumont.