Pour l’occasion, la grande salle était pleine, l’attente envers le Blues Explosion conséquente et les Rebels of Tijuana ont dans l’intervalle offert un bon set, étayé par les morceaux, notamment, de leur imminent La Bourgeoise. Leur rock’n’roll yéyé, frais et enthousiasmant, fait mouche et les voir live décuple le plaisir de l’écoute, les Mauvais trip child et autres Complètement stone, pour faire court, produisant un bel effet. Forte d’un style personnel et plein d’allant, nullement handicapée par le chant en Français, la clique genevoise se met en évidence et justifie le choix du trio Spencerien de les embarquer sur ses dates françaises. C’est pop, garage, parfois psyché, énergique et nuancé quand il le faut et on sent que le groupe, rodé à la scène et armé de plusieurs ouvertures significatives, maitrise celle-ci. Ces gars ont un certain style, une classe et du savoir-faire et usent de changements de rythmes qui rehaussent encore leur prestation.
The Rebels of Tijuana
Première partie appréciable donc, d’autant plus estimable qu’il n’est jamais facile de s’imposer lorsque l’assistance attend avant tout la tête d’affiche. Cette dernière, dans un éclairage minimal qui lui sied, apparaissant bien entendu sous les vivas des rouennai(e)s pour jouer un patchwork aussi jouissif que déstructuré de ses morceaux, qu’on reconnait parfois avec difficultés tant l’entremêlement, déroutant, passe du coq à l’âne sur le plan des plages exécutées, sans transition aucune mais ponctué par les interventions de Jon, personnage racé à la croisée du Lux Intérior et d’un Iggy de l’ère Stooges.
Il n’empêche, le procédé, pour peu qu’on s’y adapte ou qu’on l’ait déjà vécu, fonctionne et quoiqu’il en soit, le Blues Explosion sert un gig teigneux, unique, tout en brisures, aux airs de grande cérémonie du blues, acéré. Exigeant certes, mais plus que profitable dès lors qu’on le domine, et fait d’une alliance entre une forme de subtilité blues et une urgence punk dans le jeu, entre modernité et passéisme assumé. Le mélange prend, se veut singulier et l’est, le trio n’ayant d’ailleurs, on ne s’en étonnera guère tant le résultat s’avère singulier, jamais été repris.
En outre, Spencer exhale une sorte de classe narquoise, incarne une certaine idée du rock’n’roll dans ce qu’il a de plus authentique et le fait de vivre un tel concert, maitrisé jusque dans ses directions impromptues, ses entrelacs de rythmes et de sons, laisse en dépit du chaos ressenti par le plus grand nombre une impression forte et des sensations qui ne s’estompent pas. Intense, loin des conventions, loin aussi d’un déroulement attendu et espéré, ce set et les apparitions du Blues Explosion en général génèrent un ressenti partagé, déstabilisant, et demandent un effort d’assimilation qui passe par le fait de le voir plusieurs fois pour s’imprégner de la démarche et s’enivrer, car au delà de tout c’est tout de même ce qu’engendrent ses scènes, d’une attitude et d’un contenu sauvages à souhaits, stylés. Et dont les penchants déviants marquent d’autant plus qu’ils se situent à l’opposé de toute attitude convenue et prévisible.
Photos William Dumont.