Le temps d’échanger quelques mots avec Cyril Bilbeaud, le batteur et ex-Sloy (tout de même!) et actuel Versari, et voilà que les larsens de Marc Sens, à la guitare triturée parfaitement complémentaire de celle d’un Serge Teyssot-Gay félin à souhait, introduisent la raclée sonore à venir. Casey et B.James, en maitres du verbe et de la gestuelle, assurent eux aussi le show de façon magistrale, le tout se voyant charpenté par la frappe tout-terrain de Cyril. C’est sauvage, compact et insoumis, délibérément insoumis, un exemple d’ouverture et un manifeste fusion incontestable, porté par une plume aiguisée et dénonciatrice. Des acrobaties de Serge au jeu à la Moore/Ranaldo de Marc, dont les impros renforcent l’impact et le cachet du quintet, en passant par le flow des deux rappeurs, parfaits partenaires de jeu des premiers nommés, pour arriver aux drums que Cyril maltraite avec maestria, dans le style qui le caractérisait déjà du temps de Sloy, voilà une alchimie rare, illustrée par un panel de titres fourni et diversifié. D’Aiguise-moi ça, saccadé et bardé de sons ingénieux, à Purger ma peine, haché et groovy comme du R.A.T.M., en passant par A la seconde près, jamais l’urgence, la tension et l’intensité ne se relâchent. Zone Libre les fait juste varier au rythme des orientations choisies, directes ou saccadées, massives ou plus aérées, et balance des refrains fédérateurs ponctués par ces grattes tous crocs dehors, chauffées à blanc.
Généreux et communicatif, le duo préposé à la joute verbale, rondement menée, souligne et soigne les maux par le mot, qu’il incruste dans l’écrin sonore tissé par ses acolytes, aux riffs fusion de folie (E.l.s.a.), et martèle avec la conviction et la mainmise des plus grands. Rodé à la scène, impliqué dans une tournée-marathon qui laissera des traces positivement indélébiles dans les cerveaux des différentes assistances de ses apparitions, le combo fusion, supérieur en qualité et en force de frappe à tout ce qui a pu se faire jusqu’alors sur le territoire voire ailleurs, s’impose sans délai. Au sein du public, rockeurs et rappeurs ne font qu’un et se vident de leurs tourments l’espace d’une soirée, transportés et mis en transe par cette mixture parfaite, toutes griffes sorties, dont on redemande. Free rock et rap tout aussi free se télescopent et enfantent une entité unique, loquace et acérée, et génèrent par là-même un temps fort d’une intensité détonnante.
Pour conclure, un set estampillé Zone Libre se vit bien plus qu’il ne se décrit par le mot, celui-ci créditant grandement le 106, qui propose par ailleurs une superbe expo sur le rock rouennais qu’il vous faut découvrir sans atermoiements si ce n’est déjà fait.
Photos William Dumont.