Pop déviante, rock expérimental et pointes electro, le tout relevé par des percus aux accents tribaux, se télescopent et accouchent une fois encore du meilleur. La voix d’Alex Catrine De Selve, elle aussi unique, à la fois angélique et émotive (Sunshine, superbe) et batailleuse, insoumise (Keep me inside, bardé de sons synthétiques ingénieux), étaye le discours d’un groupe précieux, sans équivalent dans sa démarche de défrichage sonique et qui, s’il évoque entre autres les Liars pour ce côté cohérent dans la déstructuration, impose avant tout sa propre identité.
C’est donc le Keep me inside nommé plus haut qui inaugure les festivités sur un mélange hybride, aux soubresauts electro placés sous le joug d’un rock de caractère, racé. La délicieuse pluralité vocale d’Alex et le brio de ses collègues de jeu, ce dosage juste entre organique et synthétique et la qualité des textes engendrent une symbiose étonnante, qui prend une forme plus « pop », si je puis dire, sur Sunshine. La batterie syncopée de Thomas Hispa, les fines guitares, gentiment dissonnantes, de Victor Belin, et les volutes de clavier d’Antoine Eole, dont la voix s’accorde joliment avec celle d’Alex-Catrine, permettent un résultat brillant, qui confirme dans un même élan l’évolution de Pilöt et l’imprenable qualité de l’entrée en matière. Même lorsque les rôles de départ changent (à l’origine, Antoine tient la guitare, Victor les « keyboards »), Pilöt tutoie les cimes et demeure pertinent.
Passé ces deux morceaux sans failles, Big daddy’s rocket field et ses plages apaisées qui succèdent à des envolées massives impulsées par l’organe vocal de la chanteuse s’impose à son tour. Rock d’anticipation, peut-on lire à propos du groupe; l’appellation lui sied à merveille et le quatuor n’a de cesse d’innover, de proposer une alternative solide et décalée aux productions actuelles.
C’est le cas sur Bear hunt, et si effectivement, le canevas tribal du morceau évoque le trio drivé par Angus Andrew, Pilöt en offre une déclinaison singulière, au sein de laquelle les genres usités entrent en duel et se malmènent au point qu’à l’arrivée, on ne peut ranger ce son dans une case précise. Leste et léger, flou et pourtant distinct, virevoltant et l’instant d’après plus apaisé, ou faussement tranquille, voilà enfin une création sans similitudes, aux influences effacées par le brio de la troupe parisienne. Celle-ci livrant, pour achever son oeuvre, un YSL de toute beauté, à l’approche pop barrée, finement conçue, traversée par des bruitages décisifs et entrecoupée de breaks dépaysants, il va sans dire que It’s a new day for nation consacre un groupe qu’il montre en effet sous un jour nouveau, dans la continuité des efforts entrepris depuis ses débuts et qui, sur Mother, prenaient déjà une tournure passionnante.
Ici, un palier a été franchi et on rejouera ce EP sans arrêt, sans oublier de profiter de la prestance scénique maintenant affirmée de ce groupe tout à la fois sauvage et subtil.