Par Joseffeen et Amenina
Le 4 mai 2011, le groupe Moriarty était de passage à Bordeaux pour un concert au Krakatoa et en a profité pour faire un showcase à la librairie Mollat. C’est en nous baladant dans la librairie quelques minutes avant la fermeture que nous avons interviewé 3 membres du groupe.
Stéphane (contrebasse): Alors, nous sommes en compagnie de Joseffeen et Amenina de Muzzart et nous allons faire un tour dans la librairie Mollat où nous sommes venus faire un showcase.
Muzzart: Vous venez de sortir votre nouvel album The Missing Room et nous attendions ce deuxième album depuis longtemps.
Stéphane: Depuis combien de temps exactement? (rires)
Muzzart: Depuis votre dernier passage à Bordeaux en 2009 à la Rock School Barbey! Nous voudrions savoir comment vous avez préparé ce nouvel album.
Rosemary (chant): Nous l’avons travaillé en partie sur la route. C’est un mélange de textes écrits sur la route et datant aussi d’avant et après la tournée précédente.
Stéphane: On a, comme d’habitude, collecté des chansons très anciennes qui étaient restées dans nos valises. Certaines ont 10 ans comme « Jimmy » ou « Loveliness » sur le dernier album. D’autres sont nées spontanément de choses qu’on a vues sur la route directement comme « Mah-jong » ou « Decaf’ « . Ce sont des chansons inspirées par des visions de tournée, des lieux qu’on a visités comme Taiwan ou l’Allemagne et puis d’autres ont été écrites après dans une sorte d’isolement. On avait parfois quelques breaks entre 2 dates. On est par exemple allé à Sainte Marie aux Mines dans une ferme qui appartient à Rodolphe Burger (www.rodolpheburger.com). C’est un studio d’enregistrement et c’est fantastique, c’est un lieu très très inspirant et complètement magique. On s’y est isolé quelques semaines pour digérer ce qu’on avait vu sur la route et pour donner une forme aux chansons. C’est toujours une histoire de voyages. On essaie de trouver des lieux qui nous inspirent.
Muzzart: A quel moment vous êtes vous dit: » Là, c’est bon, l’album est terminé « ?
Rosemary: On ne s’est pas vraiment dit ça. On a fini de tourner, on a fait une pause de quelques mois. On ne s’est pas vus pendant un moment et puis on a recommencé à travailler ensemble en répétant et comme nous avions une tournée de prévue pour octobre, nous avons en fait décidé de finir les morceaux sur scène. C’était une façon de se les faire dans les mains, la voix, le corps, les mouvements, les déplacements et les changements d’instruments. On a essayé des choses tous les soirs, que ce soit des choses plus ambitieuses ou au contraire moins ambitieuses en nous appuyant un peu sur la réaction des gens aussi. Le seul hic, c’est que les gens ne connaissaient pas du tout les morceaux.
Stéphane: C’était différent tous les soirs. Certains soirs, le public était très perplexe parce que ce qu’on proposait était différent de ce qu’ils connaissaient du premier album. D’autres soirs, ils étaient partie prenante dès le début alors que c’était des nouvelles chansons. On a eu de la chance en tout cas car les dates affichaient complet même si on n’avait pas sorti d’album ni fait de promo.
Rosemary: Oui, les gens ont vraiment été au rendez-vous de la scène alors que l’album n’était pas encore sorti.
Muzzart: En même temps, c’est un peu votre marque de fabrique de faire découvrir vos titres en live et de les jouer de façons différentes.
Rosemary: C’est vrai mais sur la première tournée, les gens connaissaient quand même les morceaux du disque ou au moins une ou deux chansons. Il y avait vraiment une réaction animée dans le public. Beaucoup connaissaient même bien le premier disque et là, comme on débarquait avec de nouveaux morceaux, il y avait une écoute extrêmement attentive mais moins de participation de la part du public.
Stéphane: ce qui s’est passé aussi, c’est que nous voulions faire ce nouvel album mais nous nous sommes un peu pris le bec sur plein de choses avec la maison de disques. Nous avions les nouvelles chansons mais nos partenaires n’étaient pas forcément en confiance et voulaient nous imposer des choses qui ne nous plaisaient pas. On s’est donc dit qu’on allait arrêter de travailler avec eux parce qu’ils nous étouffaient et on a décidé de faire l’album non pas sous forme physique mais sur scène. On a pensé que les gens qui viendraient au concert entendraient l’album sous forme virtuelle en quelque sorte. En général, on commençait les concerts en disant: « Merci de nous retrouver. Voici la plage 1 et puis on va écouter l’album et faire plage par plage ».
Muzzart: Ensuite vous avez choisi « Isabella » comme single, pourquoi ce morceau-là en particulier?
Rosemary: parce que c’est la seule qui était prête! (rires)
Stéphane: C’est vraiment la première qu’on a finalisé. Il faut dire qu’on l’a écrite très rapidement « Isabella ». Elle est née en une journée, enfin, un après-midi à Nîmes en résidence pour une pièce de théâtre. Le metteur en scène nous avait demandé de composer la musique pour la pièce. Ça s’appelait « La nuit, un rêve féroce ». C’est une pièce pour enfant sur les cauchemars (ndlr: pièce de Mike Kenny mise en scène par Marc Lainé). Le premier jour, on est arrivé. On était dans un vieux cinéma des années 50 à Nîmes qui a été transformé en théâtre. Ils nous ont mis dans la salle de cinéma au dessus et on était là devant l’écran. On a retrouvé, parmi nos vieux enregistrements, un enregistrement de téléphone portable, une petite mélodie qui faisait ta da da da da da (il chante). C’était à l’harmonica et on s’est dit: « Tiens, c’est bien dans le ton de la pièce ». Rose a pris la guitare, a fait deux accords et a chanté le nom du personnage de la petite fille qui a des cauchemars: « Isa- isa-bella » et la chanson est née. C’était aussi simple que ça. On était au milieu de notre tournée mondiale alors quand on a repris la tournée, en Espagne, au Portugal, en Allemagne, au Japon et en Australie, on a commencé à jouer Isabella sur scène. On disait: « Voilà, c’est sorti il y a un mois. C’est une chanson toute bébé mais on va la jouer. ». Peu à peu, elle a changé de rythme et les paroles ont changé et elle est devenue une adulte au lieu d’être un enfant. Du coup, c’est la première qu’on a pu enregistrer, la première qui était mûre.
Stéphane: On passe par là?
Rosemary: C’est immense.
Stéphane: En fait je suis venu ici un jour où je me suis trompé de train. Je devais aller à Rennes et j’ai sauté dans le mauvais train. J’ai abouti à Bordeaux, je me suis perdu dans les rues et je suis arrivé dans cette magnifique libraire. Je me rappelle avoir acheté des livres d’architecture.
Muzzart: Justement, comme nous sommes chez Mollat, on voulait vous parler de livres. Quel est le dernier livre que vous avez lu?
Stéphane: Le dernier livre? J’ai relu Les Emigrants de W.G Sebald. C’est un peu mon auteur préféré. Je crois qu’il fait partie des livres qu’on a sélectionnés aujourd’hui (ndlr: la librairie avait proposé au groupe de faire une sélection de livres mis en avant le jour du showcase). Je pense que ça résonne pas mal aussi avec les histoires qu’on raconte.
Arthur (guitare): en fait, moi, j’avais sélectionné celui-là et je viens de l’acheter parce que je ne l’avais pas! C’est Diane Arbus, Revelations. C’est une photographe américaine qui a beaucoup travaillé sur des gens étranges notamment du cirque. Il y a eu un film sur elle, Fur avec Nicole Kidman. C’était une peu bizarre. Elle fait des photos absolument extraordinaires.
Stéphane: On fait notre shopping en jouant dans des librairies en fait! (rires). Il faut dire que quand on a décidé d’auto-produire ce disque, on avait toute liberté sur la méthode. On a décidé de le jouer d’abord pour les gens et de l’enregistrer plus tard. Une fois qu’on l’a eu enregistré, on s’est demandé où on aimerait voir notre disque et on s’est dit qu’on aimerait bien le voir entouré de livres et pas forcément dans des supermarchés au milieu de casseroles et de micro-ondes. On lui a d’ailleurs donné la forme d’un livre.
Arthur: je viens de me rendre compte que Stéphane avait sélectionné un livre de Peter Zumthor qui s’appelle Penser l’architecture. Il a été son professeur et je viens de me rendre compte que ça me rappelle quelque chose… (rires)
Ndlr: la couverture du livre rappelle celle de l’album de Moriarty
Stéphane: Peter Zumthor est un architecte suisse qui travaille beaucoup sur les sens et sur la mémoire. Dans ce livre, ce sont des petites anecdotes sur la manière dont il travaille. C’est une vision assez poétique de l’architecture et des bâtiments. Il y a beaucoup de souvenirs d’enfance aussi. Il traite de la raison pour laquelle on aime un bâtiment et pas un autre en fait, ou de pourquoi un bâtiment a une âme et pourquoi d’autres sont abstraits ou froids.
Arthur: Mais notre papier est plus beau! (rires)
C’est plus noir aussi.
Stéphane: Oui, on devrait faire un package avec le cd et le livre! (rires)
Arthur: ou alors faire un partenariat avec Architecture magazine et distribuer le cd avec le magazine! (rires)
Muzzart: et toi, Rosemary? Quel est le dernier livre que tu as lu?
Rosemary: C’est une BD, Une Histoire populaire de l’Empire américain d’Howard Zinn.
Muzzart: La librairie va fermer alors on va arrêter là. Merci beaucoup!
Merci à Moriarty
Merci aussi à Virginie, Guillaume et à la librairie Mollat