Udo und Brigitte
Après la tempête Viva and the diva, la Malterie lilloise proposait un nouvel événement de choix puisque en cette occasion et sous l’impulsion de Party Program, Red/Tessier/Marinescu était invité à jouer son rock déjanté, mâtiné d’élans bluesy et balafrés par un saxo free absolument renversant.
Udo und Brigitte
Avec, en première partie, les locaux d’Udo und Brigitte et leur folk/pop-rock plus conventionnelle mais d’excellente tenue, le public lillois avait de toute évidence la perspective de passer un moment marquant, inauguré donc par les seconds nommés. A la croisée de l’indé le plus fougueux et d’une élégance folk agitée, le tout entrecoupé d’instants plus posés, le quintet nordiste gratifie les « Malteriens » d’un concert qui monte de façon progressive en intensité pour finalement conquérir une salle enthousiaste. Les mélodies avenantes se frottent à des pointes rock acérées, des embardées folk vives se font entendre (Flemish carbonade et son refrain piqué à..A Ha), et les mélopées façon Beatles du groupe, magnifiques (Eco citizen charter) achèvent de faire de ce concert une prestation à l’exact mitan de la beauté pop ou folk et de la rudesse rock. The rise and fall of airbud et son rythme débridé, ou le finaud Don’t spit in soup, ou encore United states of Europe concourent à parfaire le moment, et à mettre en lumière un groupe qu’on qualifiera de trop peu connu eu égard à la valeur de son répertoire. Probante, son apparition aurait parfaite dans une version légèrement plus tapageuse, un peu plus étendue aussi, mais n’ergotons pas; la chanteuse Brigitte et ses quatre musiciens méritent l’écoute et la considération, méritent aussi d’être plus souvent sollicités dans le cadre du live et outre ses venues scéniques, je ne saurai que trop vous conseiller l’audition de leur Can’t Deutsch this.
Très belle ouverture donc, en préambule à une formation plus que méritoire, au registre déjanté, d’une parfaite tenue aussi et, en certaines occasions, vocalement délicate (Eu ch’tiote fallot dechinte), qu’on pourrait situer entre Tom Waits et Nick Cave et qui impose des ambiances uniques, éloignées de toute attitude « normée ». En s’appuyant sur son exceptionnel My unprivate blues anthology, à paraitre chez Clapping Music en novembre prochain, Red/Tessier/Marinescu administre à l’assistance une formidable leçon musicale basée sur la liberté de ton, l’association du blues le plus déviant qui soit, d’un jazz obscur et de plages rock aux fréquentes « sorties de route ». Expérimentés, le trio fondateur et ses deux hommes de main usent aussi de voix samplées pertinentes, d’un apport certain, qui secondent le chant stylé, rugueux, grave et doucereux dans le même mouvement (Got no place to go, superbe) de Red. Musicalement, l’alchimie est parfaite et la recette unique, savoureuse. On se situe à la rencontre des genres et des époques et à l’image du Jon Spencer Blues Explosion dans un style différent mais d’esprit similaire, ces hommes transcendent et dynamitent le jazz, le blues et le rock’n’roll avec le savoir-faire et la maestria des plus grands.
Adepte des productions singulières (on se souvient que l’an dernier, les trois briscards avaient créé Séville 82, bande-son illustrant le désormais célèbre France-Allemagne d’alors, pour un résultat de haute volée), Red/Tessier/Marinescu étincèle, s’écarte des sentiers battus et fait dans le racé subtilement tourmenté (Dying by the hours) comme dans le feutré menaçant, sous-tendu par un arrière-plan à la retenue captivante (The bottom can be the beauty), en plus d’envolées rock’n’roll incoercibles. Entre la gamme vocale expressive de Red, son jeu de guitare plein de feeling, la frappe précise et sans failles de l’immédiatement reconnaissable Tonio Marinescu et les griffures ouatées ou plus mordantes du sax de PhilippeTessier, force est de reconnaitre que la « clique », épaulée par deux musiciens eux aussi accomplis, dispose d’une oeuvre majeure, magique, qui garantit le transport sensoriel et la distingue au plus haut point. Rejoint sur la fin de son concert par Udo une Brigitte, il signe donc un gig de toute première qualité, irréprochable et n’obéissant de surcroît à aucune règle préétablie, se permettant même au passage un chant en Chtimi qui passe parfaitement, pour mettre fin avec un brio époustouflant à ce début de week-end décidément impeccable.
Photos Camille Battez/William Dumont.