Nestorisbianca
Yann Tiersen, auteur d’un génial Dust lane, et la révélation NesTorisbianca, « coupable » d’un Genetics de haute volée; l’affiche du 106 était une nouvelle fois de choix et autant ne pas tarder à le dire: personne, dans un public fourni, n’a été déçu par le déroulement, mis à part peut-être les amateurs du côté « normé », minoritaire, surtout ce soir, du Breton.
Nestorisbianca
En ouverture, Nestorisbianca, jouant sous un grand drapeau « Dust lane », a fait valoir son Dust lane à lui; ce formidable Genetics retranscrit sur scène avec talent, entre application et rage débridée, aux nombreux temps forts tels Better before, superbe amorce songeuse et enlevée/Your love/Embrace, trio inaugurant l’album, et Overcome.
Mêlant pop sensible et embardées rock parfois noisy, le quatuor s’est évertué à imposer un univers prenant, pas très éloigné de celui de Tiersen, d’ailleurs invité sur deux titres, comme pour confirmer mes propos et la proximité entre les deux formations quand bien même celui-ci -il a tout de même bossé avec Bästard, ne l’oublions pas!- se veut plus « hors pistes » que ses jeunes disciples.
Nestorisbianca
Les discussions d’après soirée évoquaient d’ailleurs le nom du groupe, visiblement pris en compte, utilisateur d’un génial saxo free sur April day et appelé, j’en suis pour la part intimement persuadé, à venir prochainement bousculer la hiérarchie du rock hexagonal, et qui nous régale au passage d’un Cold war cosmique et subtil. On apprécie particulièrement ce dosage entre finesse et impact sonore mesuré, le climat des morceaux de Genetics prenant, sur les planches, une envergure considérable, et on regrette, comme avec beaucoup de groupes français émergents, qu’une place plus conséquente ne leur soit accordée.
Nestorisbianca
Seul petit bémol à apposer à la prestation des protégés de l’asso Montauk, l’absence des effets de synthés géniaux de Your love, décisifs, qui n’entachent cependant en rien leur set et leur répertoire, personnel et au carrefour des styles, audacieux et aussi brut qu’émotionnel. Précieux de par sa démarche, de par son talent dans un monde musical malheureusement marqué par l’absence de prise de risques et le goût de la plus grande frange du public pour des groupes formatés, Nestorisbianca mérite une reconnaissance plus large et je ne saurai que trop vous conseiller d’acquérir Genetics et d’aller en entendre l’interprétation live, faite, à l’image de l’écriture du leader Lionel Laquerrière, de ressentis divers et profonds, parfois douloureux, et dont la mise en son -c’est là l’apanage des plus grands- accouche du plus étincelant des résultats.
Yann Tiersen
Un set incandescent donc, marquant, dans l’attente de celui du « maitre » Tiersen. Et là, le Brestois, « armé » de ce Dust Lane étonnant et novateur, nous embarque dès les premières notes dans un voyage sonore inédit, non-conventionnel, on n’en doutait guère, aussi pur et finement construit que déviant et bruitiste en certaines occasions.
Fort d’un parcours plein, ce musicien ouvert et accompli, aidé, ce qui ne constitue en aucun cas un motif d’étonnement, par le bassiste de Nestorisbianca et Lionel Laquerrière lui-même, propose une expérience singulière, hautement musicale, au son des magiques Amy ou Palestine et ses gimmicks irrésistibles. Ses parties de violon, avenantes mais aussi et surtout endiablées, sont au diapason d’un ensemble qui n’est du qu’à sa ingéniosité, à son désir d’instaurer un cadre qui lui appartient et se situe à l’opposé de tout conformisme. Capable d’oeuvrer pour Amélie Poulain comme de travailler avec Eric Aldéa et ses « noiseux » ou avec Shannon Wright, Yann fabrique une musique expressive au possible, contemplative, aux élans rageurs démentiels, que la scène met en exergue avec toute la magie qui y est liée. Son bien nommé Dust lane sert de prétexte et de support à ce trip mémorable, porté par le morceau éponyme ou le songeur Chapter 19, ou encore par cette sombre et majestueuse chorale que constitue Ashes.
Yann Tiersen
Ce moment ne se décrit d’ailleurs pas, si ce n’est pour tenter modestement de rendre compte de son intensité: il se vit, en complément d’un album racé, et prendra d’ailleurs fin sur un morceau du disque à venir, dans l’esprit dudit opus, qui ne laisse planer aucune forme de doute quant à la qualité des efforts futurs.
Dark stuff et ses voix associées, éthéré et intensivement aérien, ou Till the end et son shoegaze dans un même temps rêveur et alerte, prolongent l’enchantement, et confirment la magie du set d’un artiste imprévisible, au parcours dicté par ses rencontres et ses envies, dont le Fuck me flou, digne du Loveless de My Bloody Valentine, procure un énième moment de bonheur et de tourment sonore synonyme d’extase.
Yann Tiersen
Pour conclure, un moment unique, musicalement à part, dont on souhaite à nouveau renouveler l’expérience, et « subir » les effets, au plus vite.
Photos William Dumont.