Evénement à noter en bonne et due place dans l’agenda, les Nuits de l’Alligator regroupent souvent des one-man bands, décalés et particuliers, fortement attractifs. Jake la Botz ou le spectaculaire Bloodshot Bill ont par exemple fait la joie, dernièrement, des rémois et beauvaisiens, sans pour autant que les affiches proposées dans plusieurs salles françaises s’en tiennent de façon exclusive à ces options solo.
A Amiens, l’Australien CW Stoneking était convié, de même que les Mexicains de Puta Madre Brothers, à la Lune des Pirates, bien garnie quoique non-comble. Et les premiers ont ouvert les hostilités avec panache et énergie, en trio de one-man band un peu à l’emporte-pièce, certes, mais dont le registre, chanté en Espagnol et incluant un impressionnant panel musical, a vite fait mouche et conquis l’assistance d’un soir. Grosse caisse pour chacun des musiciens, basse, guitare et seconde guitare, électrique ou acoustique, et chant de la part de tous, de concert ou indifféremment; tels étaient les outils du groupe, entre surf, rock punky, blues dégingandé et espagnolades irrésistibles, et bien d’autres éléments musicaux.
Et qu’ils optent pour des morceaux retenus ou jouent vite, et quel que soit le style mis à l’honneur, les Puta Madre Brothers ont, dans une démarche qui évoque celle de Dèche dans Face, dont les plus anciens se rappelleront le passage il y quelques années, dévoilé un set captivant et singulier, en dépit d’un manque de cohérence très occasionnel (certains décalages dans le jeu ont pu être constatés, mais le fait est inhérent à la formule développée, et on leur pardonnera aisément cette péripétie), et une joie de jouer, alliée à une sympathie envers le public, qu’on louera également. Et, par dessus tout, un talent indéniable, qu’une élégance déglinguée (la clique était vêtue de vestes de défilé militaires…aux épaulettes déchirées) représentative d’un esprit libre et échappant à toute norme imposée, accroît incontestablement.
Entre éclectisme musical, avec, il faut le souligner, des bases vigoureuses parfaitement nuancées en certains endroits, et attitude Do it yourself basé sur un côté rudimentaire, Puta Madre Brothers a donc largement tiré son épingle du jeu, et presque volé la vedette à CW Stoneking et son trio de cuivres assorti d’une contrebasse. Ceci ne signifie toutefois pas, loin de là, que la prestation de l’homme tout de blanc vêtu, au noeud papillon seyant, fut décevante.
Au contraire, ses morceaux entre jazz, fanfare jazzy et plages où il officie seul, avec cet arrière-goût de blues issu de temps reculés, exhalent un style classieux, un banjo l’enjolivant en quelques occasions de ses interventions aux sonorités estimables. Avec, atout certain, un côté rétro…rafraichissant et enthousiasmant, et une bonne humeur semblable à celle du trio d’ouverture, qu’on ne peut que prendre en compte. L’alternance entre intervention groupale et morceaux joués seuls a de plus permis de maintenir un intérêt maximal. CW Stoneking ayant le bon goût de limiter le nombre de ses morceaux solo, ce qui lui évite de lasser le public par leur nombre trop important. L’impact et la justesse des cuivres est aussi notoire, entre plans doucereux et impact plus marqué, l’éparse contrebasse et son groove, parfaitement adapté, également. Et de façon globale, ce concert, en plus de ses qualités intrinsèques, s’est positionné en contraste agréable avec ce qu’on a coutume de voir et d’entendre dans la salle de la Lune, les vivas du public attestant d’un choix judicieux et de l’attrait exercé par les formations chargées d’animer la soirée.
L’expérience est donc réussie et à renouveler, avec, peut-être, l’inclusion d’un troisième « band » tant la nouveauté apportée et les ambiances offertes semblent de nature à réjouir la foule et créditer le choix d’une telle programmation, qu’on aimerait de ce fait plus récurrente sur le sol picard.
Photos Ludo Leleu.