Quoiqu’il en soit, le plus étonnant reste le rendu, de haute volée, dépaysant, expérimental, résolument moderne bien que trouvant sa source dans un passé plus que reculé. Inqualifiable mais passionnant, ce disque éponyme affiche des voix scandées et tribales (Elpetai) sur percus elles aussi tribales, sons barrés et ambiance quasi-mystique. Dès ce titre d’ouverture, souligné par des guitares fines et déviantes, la magie opère, et on comprend que, pour peu que l’alchimie demeure, on tient en cet album un oeuvre précieuse, unique et décalée, insoumise aussi, à posséder impérativement.
Machestai et ses chants également affolés se frottant à un sax free et des saccades rythmiques adaptées, à la répétition efficace, puis un Ten toihessine africanisant façon Talking Heads enfoncent le clou d’un univers dérangé, singulier, dans un même élan remonté et conçu avec finesse. Phroneoussi, à l’habillage serein, feutré, s’inscrivant dans leur parfaite continuité tout en étendant avec éclat l’allocution pour le moins personnelle du groupe.
Les réjouissances et le voyage à travers les époques et les recoins du globe se poursuivent sur ce Nuctipolois sauvage, à la voix révoltée puis sombre et grondante, le sax de Nene boom boom le balafrant sans vergogne. Leste et lancinante, cette plage vient parfaire la forte impression laissée par le sextet et laisse augurer d’une seconde moitié tout aussi particulière.
Sur celle-ci, passé le court format de Potamo, très posé, légèrement moins marquant que les autres réalisations, Thalassa et sa basse entrainante, bien en formes, consacrent Heraclite et son procédé à part et efficient en diable, bien qu’exigeant, le slap façon Les Claypool de l’intro de Polumathie étant lui aussi attrayant et évocateur du dernier The Ex, dont l’habileté à mêler rock dur et déviant et ouvertures tribo-africaines trouve ici son parfait pendant.
Ce flot de folie créatrice trouve un certain apaisement sur Akea, perturbé mais retenu, son atmosphère affirmant la mainmise du groupe sur sa musique, inclassable, avant Paidos et sa trame qui monte doucement en intensité sans complètement éclater.
Un ouvrage « incatégorisable » donc, et une belle surprise que ce disque au carrefour des genres, qui évoque plusieurs noms référentiels tout en s’en tenant à un contenu délibérément individuel.