Gros évènement, dans la ville corbéenne, que la venue du sexagénaire d’Ostende, Arno, dans la jolie salle, rénovée, du théâtre Les Docks. Celle-ci était pour l’occasion comble, et l’attente d’un public exempt de jeunes éléments conséquente. Il est vrai que nous trépignions tous au fur et à mesure que l’heure avançait, sentant bien que l’artiste, pour le moins expérimenté et issu, tout de même, de TC Matic, nous permettrait de vivre un moment unique et mémorable.
Les musiciens débarquent alors et l’intro de l’énorme Brussels, tiré de Brussld, dernier album en date, se fait entendre, dominée par un gimmick de guitare qu’appuient des synthés remarquables, joués par l’ami de 35 ans d’Arno, ce Serge Feys à la prestance que nombre de jeunots pourraient lui envier. Et là…élégant, assuré dans une démarche sur laquelle le poids des années n’a que très peu de prise, Arno investit la scène pour, épaulé par la choriste Sabrine, amorcer un concert dont les vingt et un titres résonnent encore dans mon esprit, dans l’attente d’avril et du concert de Lens.
Entre rocks puissants que dynamitent la guitare de Philipp Weies, complaintes en Français relevées par la voix rauque du Belge, et selon un panel musical impressionnant, Arno nous a offert ce qui demeure pour l’heure le moment le plus marquant que nous ayons pu vivre jusqu’alors, avec comme point culminant l’enchainement Oh la la la!, joué avec une rare énergie, Putain putain, l’hymne repris en choeur par les nostalgiques de TC Matic, Les yeux de ma mère, splendide et émouvant, au bout duquel mon oeil droit ne put rester sec, pour finir sur Les filles du bord de mer, « Brelien » en diable et sur lequel Arno se permet un petit jeu avec le public, pour quitter la salle avec la classe et la courtoisie qu’on lui connait.
Avant cela, assorti d’anecdotes croustillantes bénéficiant de l’humour à la fois poli et aiguisé de l’auteur de cette pléthore de titres phares, le concert avait déjà atteint les sommets, entre Elle pense quand elle danse et Mademoiselle, pour le côté (faussement) posé et théâtral du bonhomme, God save the kiss et ses délicieux accents orientaux, Black dog day et son rock bourru ou Quelqu’un a touché ma femme, pour Brussld qui fut bien sur l’album le plus représenté ce soir là, avec en point d’orgue un Popstar aux relents funky plus qu’entrainants, exécuté lui aussi avec un mordant surprenant.
Autour de cela, Meet the freaks et son blues-rock teigneux et explosif, la reprise de Nina Simone See-line woman, extraite de son album de reprises, l’excellent Covers cocktail, et ses relents jazzy, Lola pour le côté émotionnel, Ca monte et sa pop vive (tiens, encore un titre de Brussld) matinée d’accents dépaysants, auront d’ores et déjà, dans un premier temps, porté aux nues l’assistance picarde, vite conquise par le registre phénoménal du chanteur trilingue et la vigueur des titres joués.
Puis Ratata, aussi plombé et colérique que Meet the freaks, Philipp y allant de son jeu de gratte éblouissant, intensifié par la batterie surpuissante de Sam Gysel, lui-même remarquablement secondé par la basse de Mirko Banovic, « d’origine yougoslave mais pas dangereux » selon les dires d’Arno lui-même au moment de la présentation de ses musiciens, auront fait de ce set un must avant même son terme.
La « suite » allant de Watch out boy et sa dualité vocale entre Arno et la sémillante Sabrine, intense et lancinant, aux airs de trip musical irréversible, à You got to move et son blues sur lequel Arno nous gratifie d’une partie d’harmonica « maison », puis With you et sa pop-rock organico-synthétique dansante et énergique, balafrée par les interventions d’un Philip se permettant de « malmener » les envolées géniales de Serge, s’est elle aussi avérée énorme. Et les deux titres précédant la performance décrite plus haut et aboutissant au morceau terminal, à commencer par Françoise et ce chant en Français, éraillé, qui distingue Arno de tout autre artiste, doté de cette rudesse rock récurrente alliée à des élans jazz magistraux, pour arriver à Je veux nager, fait d’un « rock oriental » à la fois direct et nuancé, exactement du même tonneau, si je puis dire, engendrant l’ivresse de bonheur d’un public privilégié, ayant de plus l’immense plaisir, vu la configuration du théâtre Les Docks, de côtoyer l’artiste de près.
Si on ajoute à cela un sens de l’échange aiguisé, une prestance scénique inégalable, sertie de poses et d’attitudes ayant visiblement servi d’inspiration à des gens de la trempe de…Franz Treichler des Young Gods, par exemple, et un groupe complice et cohérent, à l’énergie ébouriffante, et un panel de titres eux aussi imprenable, étonnamment vigoureux, l’évènement débouche, au final, sur LE concert à voir et à vivre. Une performance « cinq étoiles » de cette « grande gueule au grand coeur » que personne, au sein du public présent en ce vendredi de février, n’oubliera de sitôt.
Photos Lucile Emma.