Le trio nommé ci-dessus était donc chargé d’ouvrir pour la machine de guerre que sont les Black Angels, et s’en est sorti avec brio, en usant d’un répertoire solide, également très sonique et devant autant aux déviances noisy d’un APTBS qu’au psychédélisme flou et intense façon BJM, ou encore à Darker my love de par ses mélodies noyées dans des trames vaporeuses ou plus épaisses. En trio particulièrement affuté, étayé par un clavier, Wall of death offre un set dense, compact mais aussi savamment aéré, et démontre que le choix des Black Angels de les embarquer en leur compagnie n’est nullement usurpé. Et le public, dont beaucoup effectuent là une belle découverte, s’entiche de la légèreté de Down comme du cheminement noisy-shoegaze bien breaké, aux réminiscences Ride appréciables, de Tears of rainbow. Aucun des morceaux joués n’est d’ailleurs attaquable, qu’il s’agisse d’un Heaven by the sun très…Black Angels, la différence résidant dans ce chant plus léger, plus pop, et dans des structures dont le côté spatial trahit joliment un penchant, louable, pour le courant shoegaze. L’intervention du synthé est souvent décisive, l’instrument bien intégré (Darker than black) et parfaitement charpenté par la batterie de d’Adam Ghoubali, dont l’allure juvénile n’entache en rien le brio et la dextérité, de même que pour ses deux acolytes, Brice Borredon – organ, synthetizer bass, vocals, et Gabriel Matringe – guitars, vocals , sitar, cello, le « band » ainsi constitué jouissant d’une belle pertinence.Son psychédélisme prend des atours variés et l’alternance des rythmes et atmosphères crédibilise les garçons, dont le set sans failles, en plus d’ouvrir de manière convaincante pour les Black Angels, éveille le souhait d’en entendre plus, en salle comme sur support disque.
Une apparition significative donc, à laquelle succède une attente, longuette vu le « menu » espéré…et débouchant dans un premier temps sur…le Good vibrations des Beach Boys, en écho au Bad vibrations de ce quintet imprenable ayant pour nom, dans la langue de Molière, les Anges Noirs.
Dès lors, cette formidable machine scénique, dont se dégage une impressionnante sensation de force tranquille, impose sa patte et son, ou plutôt ses ambiances, sombres mais jamais impénétrables, en d’autres occasions plus claires comme sur les morceaux de Phosphene dream, et signe ce qui reste pour l’heure l’un de mes concerts les plus extrêmes dans les émotions engendrées, dans cette capacité à mettre en place un climat prenant au point qu’on n’arrive plus à s’en défaire.
Le registre des ressortissants d’Austin, soutenu par l’incroyable Stephanie Bailey à la batterie, exécuté par un groupe au sommet de son art, cohérent au possible, audible dans le jusqu’au-boutisme sonore, clair et pertinent au plus fort de sa puissance de feu, renversante, fait de chaque venue du groupe un évènement à ne rater sous aucun prétexte, assorti par exemple d’un morceau plus classiquement rock’n’roll comme Sunday afternoon qui complète la palette des Américains avec autant de maestria que le reste. L’apport du dernier opus en date est évident et, ajouté à un étourdissant patchwork des deux autres albums, entre The sniper at the gates of heaven et You on the run, pour faire court en distinguer avant toute chose un ensemble phénoménal plutôt que tel ou tel titre, place les black Angels au sommet en termes de performance et de ressenti engendré.
Qu’il s’agisse des vocaux d’Alex Maas, traversés par des cris wild à souhait (Phosphene dream), ou du reste des musiciens, à commencer par la basse bien en relief de Nate Ryan, des claviers tourbillonnants , cosmiques et aussi convaincants dans la légèreté que dans leurs fulgurances manipulés par Kyle Hunt, ou les guitares caractérielles de Christian Bland, tout est ici au point, merveilleusement uni, et génère l’extase d’un public…aux Anges, que le groupe gratifiera de trois rappels mémorables et laissera dans un état de choc et de béatitude de ceux dont on ne se relève qu’au prix d’un effort conséquent.
Vous l’aurez compris, cette date est synonyme de temps fort dans l’histoire de la salle normande, passé maitresse dans l’art de nous concocter des soirées lors desquelles les intervenants, non contents de s’avérer complémentaires, livrent des shows dont le souvenir nous reste en tête longtemps après avoir quitté l’endroit.
Photos Olivier Paul.