Neal Morgan
En ouverture, le batteur de Joanna, Neal Morgan, nous a fait la surprise d’un show surprenant, seul, chantant les mains croisées dans le dos ou déclamant des textes issus d’un grand livre, ou cahier, sur fond de musique samplée oscillant entre chorale, gospel et percus tribales. Le mélange, il faut l’avouer, s’avérant détonnant et captivant, unique du point de vue du stylé ainsi créé.
Neal Morgan
Un côté Liars, dans l’expérimentation, se dégageant même de certaines compositions au chant éthéré et répété, notamment lorsque le bonhomme s’installa derrière les futs qu’il martela à la fois avec tact et vigueur, avec par dessus cela des voix spatiales du meilleur effet. L’association des voix enregistrées et de la sienne fut d’ailleurs elle aussi déterminante, dépaysante et de toute beauté, non-conventionnelle aussi, à l’image de la prestation de cet homme plus que doué et d’une habileté extrême dans l’élaboration d’un monde intrigant, céleste et tourmenté, dont on aimerait entendre la retranscription sur disque. Les voix façon chorale constituant le fil rouge, cohérent et élégant, de l’évènement dont on ne regrettera que la courte durée, et dont nous sommes ressortis avec l’impression d’avoir vécu un moment à part, précieux et captivant, déroutant certes au premier abord mais qui, dès lors qu’on en a pris la mesure, génère une forme d’extase sensorielle inédite.
Joanna Newsom
A l’issue de cette belle surprise, la gracieuse Joanna, souriante et communicative, allait elle aussi se charger de prendre dans ses filets l’assistance normande, par le biais d’une musique impossible à catégoriser, d’une pureté entière, riche et touchant autant à la folk qu’à la pop, au jazz ou encore à la mouvance celtique à travers le jeu de harpe saisissant de la Dame. Sa voix, presqu’enfantine en certaines occasions, superbe, ajoutant au charme de ce concert singulier, de même qu’un trio incluant deux violons et un trombone, auxquels s’adjoignent un banjo et la batterie de Neal Morgan, aussi convaincant avec sa « collègue » que dans le cadre de son effort solo. En ajoutant à cela un piano fréquemment utilisé, avec autant de savoir-faire qu’en caressant les cordes de sa harpe, par la singer-songwriter issue de Nevada City.
Dans une douce variations d’ambiances et de tempi, le groupe ainsi formé a ravi les spectateurs et affiché une capacité à séduire sur la durée, la longueur des morceaux n’influant en rien sur la qualité globale du concert.
Joanna Newsom
La belle harpiste a même eu droit à son petit moment d’émotion, visible et touchant, avec un happy birthday chanté par le public après le second morceau et célébrant ses vingt-neuf ans. Ce petit intermède semble même avoir eu pour effet de rehausser d’un cran une apparition déjà convaincante, aux douces montées en puissance impulsées par la batterie et la paire « cordes-vent » formée par les deux dames et un tromboniste lui aussi décisif, qui se distingua par ses interventions remarquées et lors d’une fin de concert où il s’adonna à un jeu plus « free » efficacement soutenu par la batterie cette fois percutante de Neal. Les voix entremêlées produisant elle aussi, à ce moment précis, de belles émotions, tout comme ce rappel réclamé par tous, basé sur la succession d’ambiances délicatement changeantes et sur lequel Miss Newsom se mit à user de « Na-na-na » enivrants débouchant sur une performance vocale encore une fois époustouflante.
Un côté orchestral jamais démonstratif, finement construit et joué avec passion, émanant en plus de l’ensemble, il apparait en conclusion qu’en cette froide soirée hivernale, le « Newsom band » et son créatif batteur l’ayant précédé ont fait beaucoup mieux que de réchauffer les coeurs et l’esprit du public du 106, décidément plus que recommandable au vu du bonheur qu’offrent ses soirées.
Photos Lucile Emma.