Deux jours après la claque A Place to Bury Strangers/Marvin, le désormais incontournable 106 rouennais nous réservait une nouvelle affiche de choix, tenue par les locaux Tahiti 80 que précédaient Lucy Lucy!, groupe bruxellois, et les rémois de The Bewitched Hands, auteurs d’un Birds & drums à acquérir toute affaire cessantes.Et c’est la grande salle, nouvelle surprise de taille dévoilée par le complexe rouennais, qui servit de cadre à cet évènement tout aussi significatif que celui évoqué plus haut.
Les Lucy Lucy!, « jeunots » belges au répertoire perfectible, à étoffer mais varié et de belle facture, entre folk, pop et rock et aussi doucereux que plein d’allant, ont dans un premier temps mis en condition, avec un talent qui leur autorise de beaux espoirs, une salle bien garnie, à l’aide de titres déjà matures et aboutis tels le subtil Clock et le raffiné Deepest coma, qui monte doucement en intensité, ou encore le poppy Lizzy, affichant en certaines occasions le mordant rock nécessaire à parfaire leur prestation.
Une entrée en matière plaisante donc, porteuse de promesses que le groupe concrétisera sans tarder pour peu que l’occasion lui soit offerte de percer et de jouer de façon régulière.
Suite à cela, The Bewitched Hands entrent en scène et débutent par l’imparable Happy with you, chatoyant, aux voix entremêlées du plus bel effet, engendrant d’emblée l’enthousiasme d’un parterre que les morceaux du groupe champenois, tous tubesques et porteurs de mélodies parfaites, enchantent et plongent dans l’allégresse.
The Bewitched Hands parcourt de plus un éventail musical large et extrêmement cohérent, fait de délicatesse pop (l’irrésistible Work, un Hard to cry doux-amer au refrain mémorable), de ritournelles pop-folk merveilleuses aux choeurs splendides (Birds & drums), d’une pop-rock plus offensive (Underwear), et fait preuve d’une joie de jouer dont beaucoup devraient s’inspirer, à l’image d’ailleurs de l’esprit enjoué de leur registre. So cool, comme le dit l’un de leurs nombreux titres-phare, le quintet se montre tout aussi performant en territoire délibérément rock. En attestent l’alerte et incoercible Cold ou un Kings crown aux choeurs une fois de plus addictifs, ou encore 2 4 get, superbe alliage entre rudesse rock et splendeur pop. Et quand la légèreté reprend ses droits (Staying around), le niveau demeure élevé, la prestation accomplie, et on succombe sans coup férir à ce groupe soudé, qui avec l’exceptionnel Sea et ses « papapapa » emporte la mise de façon définitive. En outre, une voix féminine magnifie le tout, et les chants associés (Sahara dream, superbe, avec ses guitares Pixiennes) font mouche, insufflant de la superbe à un ensemble déjà fringuant.
Confirmant dans un même élan la teneur de son premier album et la cohérence de son registre, le groupe livre un set parfait, se montrant de plus communicatif, dans l’échange tant lors de son set qu’à l’issue de la soirée, et dispose à l’évidence des qualités nécessaires à percer de façon durable et définitive. On a envie de lui dire, à ce groupe, qu’on est « Happy with you », que « It’s a Sunday again » comme l’exprime le somptueux Birds & drums, et on s’entiche de lui, du rêve pop qu’il génère, désireux de le revoir au plus vite tel un amour naissant et déjà indispensable dont l’absence crée le manque et la frustration.
Passé ce moment d’enchantement, place à Tahiti 80…après une attente que les rouennais massés devant la scène, on ne peut que les en approuver, tentent d’écourter en se manifestant pour exhorter l’éminemment sympathique Xavier Boyer et ses acolytes à apparaitre. Ce qu’ils font bientôt…avant de nous faire don d’une bonne heure et demie d ‘un concert dont les sonorités résonnent encore dans les moindres recoins de mon esprit. Triomphal, le retour de Tahiti 80 en ses terres met en évidence une maitrise totale de l’univers pop, ou plutôt à dominante pop tant le groupe est en verve dès lors qu’il s’agit de faire dans le psyché ou l’électro, voire dans le rock brut, m’évoquant en cela le brio et la largesse stylistique d’autres orfèvres pop ayant pour nom Boo Radleys.
Une large gamme de morceaux dont tous se situent au dessus de la moyenne requise, tirés de l’album The past, the present and the possible, à paraitre en février 2011, ainsi que du récent EP, Solitary bizness, ont été joués, entre le finaud Solitary bizness, justement, porteur de séquences electro bien distillées, la pop de Hearbeat, légère et guillerette, des nouveautés de taille façon Keys to the city ou Crack up, entrainantes et animées par un esprit funky décisif, les morceaux de Puzzle ou d’Activity center, ou encore de Fosbury et Wallpaper for the soul, avec de façon régulière des incursions vers le psychédélisme et le rock plus rentre-dedans. Le tout s’imbriquant avec le plus grand naturel pour former un ensemble équilibré et ne laissant aucune prise à l’ennui ou à la médiocrité. L’expérience du groupe, sa longévité et son répertoire fourni lui permettent donc une certaine audace, et on sent que les progrès scéniques sont de mise, le Tahiti 80 vu à la Manekine, en février 2009 à Pont Sainte Maxence, certes bon, ne s’étant toutefois pas hissé à un tel niveau.
Visuellement, le sextet normand a aussi fait son chemin et proposait une disposition inédite, deux de ses membres jouant perchés sur une estrade, et s’échangeait les instruments à loisir sans jamais se désunir. A ses qualités intrinsèques sont donc venus s’ajouter ces atouts supplémentaires, faisant de ce concert en terre rouennaise, qui plus est dans une superbe salle, une réussite totale…qui aiguise notre impatience quant à la sortie du nouvel opus et nous impose l’envie, irrépressible, de nous replonger dans sa discographie, conséquente, en attendant son prochain passage sur les planches.
Photos Olivier Paul Thibaut