Nouvelle -superbe- scène de musiques actuelles installée dans le cadre adapté et attractif de la zone portuaire rouennaise, le 106, doté d’un club d’une capacité d’environ 300 personnes, ainsi que d’une grande salle estimée elle à 1148 spectateurs (il s’agit là uniquement de ce qui concerne de façon directe les concerts, le complexe de la CREA [Communauté de l’agglomération Rouen Elboeuf Austreberthe] disposant de structures des plus probantes s’agissant des domaines « annexes »), accueillait en ce soir de décembre la révélation shoegaze A Place To Bury Strangers, après une première partie assurée par la noise imaginative des Montpelliérains de Marvin.
Mavin
L’affiche était donc de choix -c’est une constante au 106- et suivait, entre autres soirées palpitantes, Wax Taylor, les Tindersticks et The Two, Lily Wood & the Prick, l’époustouflante Jessie Evans, Pony Pony Run Run et Adam Kesher accompagnés de !!! (chk chk chk), ou encore Cocoon et Born Ruffians, pour résumer le contenu, en prenant en compte le fait que le 106 a ouvert ses portes en novembre 2010. Jugez donc de la qualité et de la pertinence des « menus » concoctés par ce haut lieu voué aux musiques actuelles…
C’est le Club, donc, qui accueillait ce mercredi 8 le trio Marvin, lequel allait nous gratifier d’une prestation hautement sonique, intense, que les morceaux du premier album éponyme, récemment réédité, et du petit dernier Hangover the top, portèrent aux sommets. Entre la prestance de l’étincelante Emilie derrière son Korg aux sons cosmiques à souhait, les attitudes de Fred et son brio à la guitare et l’explosivité de Greg derrière les futs (on comprend pourquoi le bonhomme finit systématiquement torse nu…), le public, privilégié, a pu en cette occasion assister à un concert ébouriffant, émaillé de nombreux moments forts. Les inévitables Discose et Discudanse, le jouissivement braillard Roquedur et son riff de feu, ou encore Dirty tapping et sa voix vocodée (l’une des « armes fatales » de Marvin, utilisée de surcroit de façon éparse et judicieuse) et Conan le Bästard (les initiés comprendront aisément le clin d’oeil à la formation d’Eric Aldea), par exemple, ont fait de cette prestation un moment plus que marquant, qui, s’il fut riche en temps forts noise, n’en a pas pour autant omis de tempérer cette délicieuse bourrasque le temps de quelques accalmies instaurées par le clavier (le bien nommé Good radiations), qui se faisait alors aérien.
Marvin
Aucun faux-pas, une énergie jamais prise en défaut, et une collection de morceaux trépidants, aux saccades bien pensées, un univers personnel inégalable: les atouts de Marvin firent mouche et légitimèrent le choix de l’équipe du 106, et mirent sur le flanc, si je puis m’exprimer ainsi, une assistance aux anges, conquise par les sudistes et leur trans-noise dont l’ampleur scénique rallie à la cause du groupe même les éléments les plus réfractaires.
Marvin
Fort d’un genre singulier, qu’il a lui-même créé et affiné, Marvin nous a donc offert un moment qu’on n’oubliera pas de sitôt, avant de céder la place à A Place To Bury Strangers, instigateur lui aussi d’un style personnel qui doit autant au côté cold de Joy Division qu’aux stridences soniques de My Bloody Valentine ou des inénarrables Loop.
C’est d’ailleurs une intro noisy lancinante, annonciatrice d’une suite pour le moins prometteuse, qui se fit dans un premier temps entendre…avant l’énorme In your heart, tiré d’Exploding head, première gifle retentissante, puissante, aussi bruitiste que mélodique, signée d’un groupe qui allait faire bien mieux que de tirer son épingle du jeu. Ceci en s’appuyant sur un volume sonore impressionnant et pourtant bien distinct, tissé par Oliver Ackerman, déchainé tout comme son bassiste qui nous fit même l’honneur d’un petit détour dans la fosse sous les yeux ébahis et émerveillés d’un public une fois encore conquis.
A Place To Bury Strangers
La set-list, constituée bien entendu des titres du premier opus et d’Exploding head, solide, imprenable et consistante, nous a de plus dévoilé des versions live impressionnantes et un groupe au sommet de son art sur scène, entre gestuelle remarquable et sauvagerie nous ramenant directement aux dérapages noisy d’un Sonic Youth, agrémentés de touches façon Jesus and Mary Chain dans ces penchants pour un rock sombre, au détour duquel la voix d’Oliver révèle de superbes mélodies, plus poppy. Le mélange, unique, prenant dans les conditions du live une envergure phénoménale.
A Place To Bury Strangers
Entre un I lived my life to stand in the shadow of your heart surpuissant, moment d’extase parmi tant d’autres, ce I know I’ll see you undergroud à souhait, en passant par une flopée de mélopées noisy-shoegaze transcendantes..et transcendées (It is nothing..et ce fut quelque chose!, le superbe Keep slipping away, un To fix the gash in your head que les frères Reid applaudiraient à tout rompre, Missing you et sa sensibilité magnifiquement pop mise à mal par les soubresauts sonores des Américains, et bien d’autres…), A.P.T.B.S. a mis dans sa poche, par le biais de sa grand-messe sonique déviante, les quidams du soir, finissant de plus par le jet de ses instruments après que le sieur Ackermann, ayant brisé toutes ses cordes, ait utilisé l’une d’entre elles pour tirer de son engin ainsi dénudé des giclées noisy démentielles. Dion Lunadon, lui, trainant sa basse après l’avoir attachée à un raccord tandis que J.Space, après un ultime assaut administré à ses fûts, délaissait ceux-ci, endommagés par la guitare du leader.
Si l’on ajoute à cela un Dead beat renversant, un Ego death compact et massif, dark aussi, et j’en passe, il va sans dire que ce 8 décembre fut pour tous un moment que nul n’oubliera, de nature à susciter l’envie non seulement de revoir les deux combos concernés, mais aussi de remettre les pieds sans plus tarder dans un 106 que nous eûmes d’ailleurs beaucoup de mal à quitter. Et que nous rejoignîmes deux jours plus tard pour The Bewitched Hands et Tahiti 80 (sans oublier les Belges de Lucy Lucy en ouverture), affiche elle aussi mémorable dont je retrace le contenu dans un autre article de ce webzine.
Super soirée donc, à mettre à l’actif de la salle rouennaise, qui m’évoque d’ailleurs l’un des titres d’APTBS, Smile when you smile. Ce dernier, par son intitulé, décrivant à merveille l’état d’extase, à sa sortie, du public normand et d’ailleurs, auquel je recommande d’ores et déjà chaleureusement de se fidéliser au plus vite à cet endroit chaleureux, entièrement adapté, magnifique, qu’on ne quitte qu’au prix d’un réel effort sur soi-même.
A Place To Bury Strangers
Photos Olivier Paul Thibaut