Sur cet album au digipack superbe, qui s’avère être le tout dernier opus du groupe et prend de fait des airs d’objet culte, le groupe nous livre pas moins de vingt-deux titres introduits par Brumm und blech, à l’atmosphère singulière, prolongé par Imperial lover, presque post, puis un Feed the greed féroce et de haute volée, indus façon Young Gods, et ne laisse guère planer le doute quant au niveau de cette ultime fournée.
C’est ensuite Chrome, electro-indus/kraut remuant et déjanté, puis Soft prunes, beaucoup plus spatial, qui complètent la palette, imposante et élaborée avec tout le savoir-faire de vétérans au faite de leur inspiration, puis l’intrigant et bruyant Nachtfahrt, au tempo presque hip-hop, confirme la singularité des ambiances tissées par Faust; surprenantes, sombres, leste ou plus alertes, celles-ci envoûtent et séduisent comme le puissant Hit me, aux grattes mordantes et vocaux haineux.
A l’écoute, on comprend d’emblée où tous les groupes indus ou kraut de ces dernières décennies sont allés puiser leur idées, et on mesure pleinement l’influence des géniteurs de Faust tapes ou Faust IV, monuments s’il en est, qui se permettent ensuite de balancer sans crier gare un Dolls and brawls presque drum’n’bass groovy, fracassant du point de vue des percus et complètement enivrant, superbe témoignage de l’adresse de Fride, Irmler, Lobdell, Paukstat et Stoll à créer des pièces uniques, géniales, exigeantes certes mais passionnantes et d’autant plus appréciables que les climats générés par ces gens-là s’adressent avant tout à un public d’initiés bien éloigné des conventions liées à la musique dite « normale ».
S’ensuivent un Drug wipe lourd et massif, véritable rouleau compresseur sonore et rythmique, à la répétitivité obsédante, relayé par Steinbrand, porté par un tempo vif et des entrelacs de sons ingénieux, marque de fabrique de Faust qui mêle, sur ce morceau, psychédélisme et krautrock avec maestria, en breakant intelligemment pour accentuer l’effet psyché, saisissant et de nature à amener l’auditeur à un état de dépendance irrémédiable. On pense sur ce titre aux groupes hexagonaux comme Kill for total peace ou encore Turzi, largement « nourris » par l’oeuvre de Faust, avant de plonger dans un I don’t buy your shit no more punky et rageur, Stoogien aussi, du plus bel effet.
A peine remis de ces gifles sonores et de cette diversité renversante, c’est Babylon, taillé dans le kraut le plus enfumé et sonique que l’on puisse connaitre, puis l’electro-indus incoercible de X-ray, qui nous assènent le coup fatal, s’agissant de la première partie d’album, laissant toutefois le soin à Cluster für Cluster, court et bruitiste en diable, puis à ce Day out splendide, apaisé et reposant sur la dualité piano-voix, de mettre fin à la face « Faust A« .
Passé cette première face, donc, on entre de plein pied dans Karneval, premier morceau de « Faust B » à forte teneur psychédélique, très haut perché, animé lui aussi par une atmosphère prenante, capable d’effets conséquents sur le mental. Et Ozean, plus ambiant, réitère ce procédé mais de façon moins marquée, la voix, distante, venant souligner les motifs sonores discrets du titre.
Il semblerait d’ailleurs que ce second volet soit plus directement lié à l’expérimentation, ce que nous prouve la dernière minute sombre dudit morceau puis SofTone, basé sur des sons de claviers et de guitares associés. Faust happe l’auditeur, le transporte et lui procure un voyage sonore et psychique étourdissant dont celui-ci ne peut ressortir indemne, surtout après les descentes synthétiques de In but out, ahurissantes et surplombées par une voix hurlée qui accroît l’individualité non seulement de ce morceau, mais par extension de tout le répertoire de Faust. Rarement krautrock, psychédélisme et force sonique auront été imbriqués avec autant d’à propos et de génie, et d’aptitude à captiver même dans les moments les plus barrés (GhosTrain et sa vêture opaque et impénétrable)..
A la fin de ce chef d’oeuvre de fin de carrière, c’est d’abord Vorübergehen, assez similaire dans l’esprit, minimal et céleste à souhait, puis Primitivelona, plus dénudé encore, presque silencieux, qui viennent entériner le sacre de Faust, dont ce Faust is last écoeurera et découragera -ou boostera par sa teneur, c’est selon- les groupes encore « verts », et viendra s’inscrire parmi les albums de la décennie, j’en prends d’ores et déjà le pari, appuyé en cela par son statut de dernier ouvrage studio du groupe.
Indispensable et intégralement addictif.