Par Joseffeen et Amenina
Le 7 avril 2010, nous sommes allées interviewer Florent Mazzoleni, auteur, critique et conférencier bordelais qui a publié plusieurs ouvrages sur la musique. C’est dans son salon et entouré de sa collection impressionnante de vinyles qu’il a répondu à nos questions.
Muzzart: Comment t’est venue l’idée de te mettre à écrire des livres sur la musique?
Florent Mazzoleni: Je ne me suis pas trop posé de questions. J’ai eu la chance de pouvoir voyager aux États-Unis dans les années 90 et en 2004, j’écrivais déjà pour les Inrocks, Vibrations et Rock Sound et j’avais acquis une expérience de journaliste. C’est à l’occasion des 50 ans de « That’s Allright Mama » d’Elvis Presley que j’ai eu l’idée de faire un livre sur Memphis. J’ai proposé l’idée à un éditeur qui a pensé que je pourrais plutôt écrire un livre sur les 50 ans du rock et c’est comme ça, par l’intermédiaire de Gilles Verlant, qu’est née L’Odyssée du rock. Le travail s’est fait sur une année et j’ai retracé l’histoire du rock comme un almanach, en fait. Il y a déjà eu 3 éditions de L’Odyssée du rock et j’en prépare une nouvelle pour l’année prochaine. Le livre s’étoffe au fur et à mesure, j’y ajoute les années manquantes et j’y ai ajouté aussi un index, des photos et une discographie détaillée. J’ai publié une quinzaine de livre depuis et, ces jours-ci, je suis en train de terminer L’Odyssée de la soul. C’est un peu le même concept mais sur la musique « noire ».
Muzzart: Comment as-tu travaillé sur L’Odyssée du Rock?
Florent: C’est un mélange d’objectivité et de subjectivité. J’ai notamment parlé de mes chouchous comme Big Star ou Modern Lovers, les Scruffs, Dennis Wilson, Vashti Bunyan, de choses folk plutôt obscures parfois, tout en restant assez objectif et en parlant de Def Leppard, Linkin Park ou Marilyn Manson quand il le fallait. C’est un exercice assez intéressant de parler des grands succès d’une année donnée, des grands disques, des tournées, des décès, des formations de groupes ou de ceux qui disparaissent et, d’autre part, de faire des références à des musiques un peu différentes.
Muzzart: Y a-t-il d’autres artistes dont tu aurais voulu parler mais qui n’ont pas trouvé leur place dans le livre?
Florent: Non, j’ai parlé de tous les gens que je voulais, dont des artistes sortant de l’ordinaire comme les Scruffs, Alexander « Skip » Spence ou Gene Clark par exemple. L’idée est d’amener des amateurs de groupes connus comme The Cure, Depeche Mode, les Rolling Stones ou Noir Désir à en découvrir d’autres qui n’ont pas eu la chance d’être médiatisés. J’ai eu beaucoup de liberté sur ce livre. J’ai pu m’attarder sur certains artistes en incluant des brèves et des chroniques d’albums où je parle de Tim Hardin, de Fred Neil, ou de Tim Buckley qui, lui, a carrément eu droit à un petit paragraphe.
Muzzart: Quels artistes as-tu voulu mettre en avant dans L’Odyssée de la Soul?
Florent: ça fait une quinzaine d’année que j’écoute de la soul et j’ai beaucoup voyagé aux Etats-Unis, à Memphis, à la Nouvelle Orléans et à Chicago pour comprendre les racines de ce mouvement. J’ai une grande collection de disques de soul et j’ai beaucoup écrit sur la musique noire depuis 10 ans, mais je travaille sur ce livre en pensant aussi à ceux qui ne connaissent pas trop ce style de musique. C’est pourquoi, encore une fois, j’aime bien le concept d’almanach. Je peux aussi bien parler des Soul Children ou de Ollie & The Nightingales qui sont deux groupes fétiches de Memphis que m’épancher sur Kool and the Gang ou Diana Ross. J’ai une petite préférence pour la soul sudiste, James Brown notamment sur lequel j’ai écrit un livre aussi en 2005 [ndlr, James Brown, L’Amérique Noire, la Soul et le Funk , Hors Collection], cela étant, je parle beaucoup de soul, de funk, de disco, de rhythm ‘n’ blues, de nu soul et de r’n’b mais je ne parle pas de hip hop, il faudrait tout un livre pour couvrir trente ans de hip hop. Dans ce livre, je m’intéresse à la chronologie bien sûr mais surtout à la géographie et aux différentes scènes locales: Chicago, Philadelphie, Memphis, New York, la Nouvelle Orléans, Los Angeles, Miami et comment elles ont pu tenir le haut du pavé pour disparaître puis renaître.
Muzzart: Et tu t’arrêtes à quelle date?
Florent: 2010, avec des artistes comme Erykah Badu et Janelle Monae. Je parlerai aussi du retour de Sharon Jones et d’un petit groupe que j’ai découvert tout à l’heure, Kings go Forth. La pochette de leur album The Outsiders Are Back a été dessinée par l’artiste Mingering Mike qui passait son temps à dessiner des pochettes d’albums imaginaires dans les années 70, c’est une sorte de folk art américain. C’est vraiment une révélation et il y a longtemps que je n’en avais pas eu.
Muzzart: Pour tes recherches, tu voyages beaucoup mais au départ, tu es originaire de Bordeaux, n’est-ce pas?
Florent: Oui, je suis très lié à Bordeaux. J’ai fait toutes mes études ici. J’aurais pu travailler à Paris à un moment donné mais j’ai préféré rester ici. D’abord, j’écris difficilement ailleurs que dans mon bureau qui se trouve dans cet appartement, et puis j’ai une relation assez intime avec ma ville que j’aime beaucoup. Par ailleurs, j’ai aussi la chance de pouvoir partir pratiquement tous les mois ou tous les deux mois à l’étranger donc ça me fait quand même des moments de rupture.
Je pense que Bordeaux offre un cadre idéal pour travailler et puis c’est quand même une ville qui est en phase avec l’actualité musicale. Dans les années 90, je m’occupais d’ailleurs pas mal de Radio Campus, je bossais à Sauvagine et à Radio Black Box. En écrivant de Bordeaux, c’est vraiment le compromis idéal: je me rends presque toutes les semaines à Paris pour le travail, les interviews, voir mes éditeurs sans avoir la pression d’y vivre.
©Eric Chabrely
Muzzart: Et qu’est-ce que tu penses de la scène locale?
Florent: Ici, j’ai pu assister au début de Kim, de Calc et de Pull qui sont des groupes de Bordeaux que j’aime beaucoup. C’est ici que j’ai commencé. Dans les années 90, j’avais un label qui s’appelait Mobile Records [ndlr, artistes signés entre 1997 et 2000: Kim, Nuer, Bevel, Simon Queheillard, Guimo,…] et le premier texte que j’ai écrit, c’était une chronique sur Mogwai qui a été publié dans Abus Dangereux en 97.
Je pense que la scène locale est très intéressante mais je ne m’empêche surtout pas de regarder ailleurs, ce qui me donne d’autres perspectives musicales et culturelles.
Muzzart: Et aujourd’hui, sur quoi travailles-tu?
Florent: Sur mes livres et des conférences mais aussi des recherches universitaires qui se nourrissent de ma passion pour les musiques africaines. Je suis en train de faire une thèse de sciences politiques sur la musique moderne malienne. Outre L’Odyssée de la soul que je suis en train de terminer, je prépare un livre sur 50 ans de musique moderne au Mali. Je prévois aussi de faire un livre sur la Nouvelle Orléans, une refonte de L’Odyssée du rock et sans doute un livre sur la mélancolie atlantique en chansons. Je pense montrer l’existence d’une communauté d’esprit entre la bossa brésilienne, certains styles cubains, le blues du sud des États-Unis et toute la musique d’Afrique atlantique à laquelle j’ai consacré un ouvrage en 2008 [ndlr, L’Épopée de la musique africaine, rythmes d’Afrique atlantique, Hors Collection.]
Muzzart: Tu as également écrit une biographie de Salif Keita récemment. Y a-t-il d’autres artistes auxquels tu aimerais consacrer un livre?
Florent: J’aimerais faire quelque chose un jour sur Paul Simon. J’ai également en projet de faire quelque chose sur Ali Farka Touré, le grand artiste malien, avec un éditeur anglais. Salif a été une rencontre très importante pour moi étant donné que c’est une des grandes voix africaines depuis 40 ans et ça m’a donné envie de creuser sur la musique malienne et d’en savoir plus sur des artistes comme le Rail Band. Je rêverais de sortir des monographies sur différents orchestres africains que j’aime bien comme le Bembeya Jazz de Guinée, l’Orchestra Baobab du Sénégal, Franco et le OK Jazz du Congo, le Rail Band du Mali et le Poly-Rythmo du Bénin. J’aimerais faire une collection sur ces grands groupes africains qui devraient être cités avec le même enthousiasme et le même intérêt que les Rolling Stones, par exemple.
Dans un autre style, j’aimerais, mais je pense que ça prendrait la forme d’un roman, m’attacher à quelque chose sur Alex Chilton, un ami très cher qui est décédé il n’y a pas très longtemps et qui était le fondateur de Big Star. Cela a été, pour moi, mon premier grand choc musical il y a plus d’une vingtaine d’année. Sa vie a été assez phénoménale et il a eu une trajectoire incroyable.
MUZZART QUIZZ:
Muzzart: Quels sont les 3 derniers disques que tu as achetés?
Florent: Il y a une compilation, parue chez Ace records, des toutes premières Faces de Little Willie John, un des pionniers de la soul et du rhythm ‘n’ blues dès les années 50, la grande influence de James Brown. A Londres, la semaine dernière, j’ai acheté un vinyle d’Afrobeat qui s’appelle Mr Big Mouth, c’était un membre de l’orchestre de Fela de l’Africa 70. Et puis, il y a un vinyle de Fanta Sacko, une cantatrice malienne, une griotte du début des années 70. Mais, si vous me posez la même question demain, la réponse sera différente parce que j’achète des disques en permanence, des vinyles essentiellement.
Muzzart: Quel est, selon toi, le meilleur endroit pour écouter de la musique?
Florent: Pour moi, c’est dans un maquis à Bamako ou ailleurs au Mali, vers 2 ou 3 heures du matin, avec une ou deux ampoules puis un orchestre qui joue avec des instruments désaccordés mais une énergie, une sincérité, une profondeur extraordinaires. Mes plus belles émotions musicales depuis quelques années, je les trouve en Afrique. Dans quelques jours, je pars à Dakar et je sais que, dès le soir de mon arrivée, j’irai Chez Iba (quartier Dieuppeul), un bar de salsa et de musique afro-cubaine comme on en jouait dans les années 60, avec les mêmes personnages qui sont là 40 ans après. C’est dans ce genre d’endroits que j’ai eu mes plus beaux frissons musicaux. Des endroits un peu fanés qui ont beaucoup d’âme, me semble-t-il.
Muzzart: Ensuite, selon toi, quels sont les meilleurs chansons rock des années 80, 90 et 2000? Et tu n’as droit qu’à une réponse pour chaque décennie.
Florent: Pour les années 80, je dirais « Cattle and Cane » des Go-Betweens, une chanson magnifique qui évoque la fragilité et l’exil. Ils étaient en Grande Bretagne alors qu’ils étaient originaires d’Australie et « Cattle and Cane », c’est une chanson sur la nostalgie de leur pays natal. Dans les années 90, je pense qu’une de mes chansons préférées serait un morceau des Supreme Dicks, un groupe méconnu mais un des plus grands groupes indie rock de l’histoire: un instrumental, « Garden of Your Past », le nom même est sublime. C’est un morceau du début des années 90, un instrumental assez lo-fi dans un registre plutôt folk. Je suis d’ailleurs en contact avec le groupe qui m’a demandé via son label Secretely Canadian de faire des notes de pochettes pour une anthologie à paraître en fin d’année ou en 2011.
Pour la décennie 2000, je pense que je citerai un groupe français qui s’appelle Frànçois & The Atlas Mountains, c’est vraiment un coup de coeur et leur rapprochement avec l’Afrique n’est pas pour me déplaire. François est un ami à moi et depuis quelques semaines, je n’écoute que ça. Je choisirai donc le morceau « Moitié » ou le morceau « Royan » mais de toute façon un morceau de Frànçois & The Atlas Mountains.
© Eric Chabrely
Bibliographie non exhaustive de Florent Mazzoleni:
L’Odyssée Du Rock, Presses de la Cité, 2004
4e édition prévue pour mars 2011
James Brown, l’Amérique noire, la soul et le funk, Hors Collection, 2005
Nirvana et le grunge, 15 ans de rock underground américain, Hors Collection, 2006
L’Épopée de la musique africaine, rythmes d’Afrique atlantique, Hors Collection, 2008
Les Racines du rock, Hors Collection, 2008
Motown, soul et glamour, Serpent à Plumes, 2009
Salif Keita, la voix du Mandingue, Demi-Lune, 2009
L’Odyssée de la soul, Hors Collection, à paraitre le 14 octobre 2010
Bibliographie complémentaire sur le rock:
Hervé Bouris, Le Petit guide rock, Dargaud, 2007
Gilles Verlant, Les Miscellanées du rock, Fetjaine, 2009