Un bon mois avant la sortie de leur second album, petite interview d’un groupe désormais incontournable, ADAM KESHER, au style de plus en plus affirmé…
1. Tout d’abord, bravo et merci pour ce nouvel opus, à l’écoute duquel on peut dire que le fameux «cap du second album » est passé sans encombres. Comment avez-vous procédé lors de sa préparation, pour en arriver à cette brillante dizaine de titres ?
AK : Le disque s’est construit sur une longue période durant laquelle nous avons tout d’abord maquetté une quinzaine de morceaux. C’est à ce moment-là que Matthieu, de Disque Primeur, nous a proposé de travailler avec quelqu’un d’extérieur au groupe pour aboutir et réaliser l’album, et il nous a proposé de travailler avec Dave One de Chromeo, ce qui s’est avéré une excellente idée, puisqu’il nous a apporté tout son savoir-faire de la musique disco. C’était assez marrant de travailler avec lui parce que les références qu’il avait en tête étaient souvent très éloignées des nôtres. C’est plutôt déstabilisant au départ de t’entendre dire que tel morceau devrait sonner plus « Phil Collins » alors que toi tu as les Breeders en tête. Mais au final, ça s’est avéré plutôt vivifiant.
Et puis, ça a été un album qui s’est vraiment fait sur la longueur, au contraire du premier disque qui avait été fait dans l’urgence, et c’était assez agréable de prendre le temps de travailler les morceaux, de tourner autour d’idées, d’essayer plusieurs arrangements, de préciser le propos.
2. On sent une évolution palpable, sur Challenging nature, au niveau du groupe et de sa sphère musicale, dans le prolongement du disque précédent. Pensez-vous avoir trouvé votre identité définitive, ou considérez-vous cette avancée comme étant encore évolutive et perfectible ?
AK : Le groupe a nettement évolué entre le premier et le deuxième album, mais c’est sans doute parce que ce deuxième disque n’a pas été abordé de la même façon que le premier. Lorsqu’on a fait notre premier disque, on avait envie de montrer qu’on pouvait avoir un spectre de morceaux très large, un côté touche-à-tout qui a fait aussi que l’on s’est un peu éparpillé, mais répondait à toute la musique qu’on écoutait alors.
Ce deuxième disque est moins dense, mais plus cohérent, plus lisible, et cela vient du fait qu’on avait vraiment envie d’être plus clair. De là à dire que nous avons trouvé une identité…
Chaque disque se construit autour des influences du moment, qu’elles soient musicales, cinématographiques ou même littéraires. Alors ce deuxième disque reflète ce que nous écoutions au moment où nous avons fait les morceaux, les films que nous avons vus et aimés, etc. Un troisième disque pourrait être encore différent de celui-ci, après tout, tout simplement parce qu’il se sera passé beaucoup de choses entre temps…
3. Peut-on s’attendre à une série de remix concernant les titres de Challenging nature ? Je me souviens que dans ce cadre, « An allegory of chastity » était particulièrement réussi…
AK : La série de remix sur « An allegory of chastity » a fait pas mal parler d’elle, mais elle n’avait pas été planifiée. Les remix étaient tombés au fil des rencontres et des affinités. Nous avons déjà quelques cool remix pour « Challenging nature » (Blackjoy, Fortune, Monsieur Monsieur…) mais c’est difficile de dire pour l’instant si nous les sortirons de manière groupée comme pour le EP dont tu parles.
L’autre truc, c’est que nous avons fait des remix pour d’autres groupes que nous devrions sortir bientôt (Blaqstarr, The Shoes, Fortune, Kavinsky…).
4. En rebondissant sur la question précédente, des inédits de haute tenue comme « Irene » ou « P.Katerine » sont-ils à prévoir suite à la sortie du disque ?
AK : Irene et P.Katerine n’étaient pas des inédits, ils figuraient simplement sur le EP « An Allegory of Chastity ». Nous avons sorti beaucoup de titres depuis 2007, et notre priorité pour l’instant est de défendre les titres de « Challenging nature » dont nous sommes très contents. Donc, pas d’inédits prévus dans l’immédiat. En revanche, pas mal de vidéos à venir.
5. Je sens Challenging nature un tantinet plus « posé » que ne l’était Heading to the hills, feeling warm inside, plus uni. Vous confirmez ?
AK : Oui, comme on l’a dit plus haut, c’est un disque plus cohérent, et plus clair que « Heading for the hills »…
Rien que le titre est volontairement plus court, et plus facilement prononçable ! Entre le premier disque et « Challenging Nature », deux membres du groupe sont partis, et un nouveau est apparu (Pierrick, à la basse). Avec cette nouvelle formation, le groupe est moins bruyant, moins noise qu’auparavant. Sans compter que l’album est vraiment fondé sur un principe de parcimonie, d’essayer de ne pas en rajouter, d’insister sur l’élément central d’un morceau…
On s’est rendu compte que dans beaucoup de disques que nous adorions, la puissance de la musique provenait d’une économie de moyens très stricte. Rajouter des couches et des couches, c’est un truc fréquent chez les jeunes groupes, c’est quelque part une manière de ne pas prendre des risques.
6. Quel regard portez-vous sur la scène bordelaise ? Y avez-vous fait des rencontres que vous jugez décisives dans l’avancée d’Adam Kesher ?
AK : Cela fait quelques années que nous avons quitté Bordeaux pour s’installer à Paris. Nous ne sommes plus trop en contact direct avec la scène bordelaise, en tout cas avec les nouveaux groupes qui y émergent, nous les connaissons peu, voire pas du tout. A part peut-être Alba Lua. Mais nous retournons quand même assez souvent à Bordeaux, beaucoup des membres d’Adam Kesher ont de la famille et des amis là-bas. Et nous gardons contact avec certains groupes que l’on connaît assez bien. On regarde avec fierté le succès de Kap Bambino, par exemple. Et il y a énormément de personnes que nous aimons beaucoup, les Magnetix, ou les Weakends. Bordeaux a toujours été une très chouette ville pour la musique, et c’est agréable de constater que ça continue, qu’il se passe encore pas mal de choses dans ce coin-là…
7. Je vous ai vus deux fois; l’une sur Amiens, il y a déjà facilement 3 ans, et l’an dernier à Reims, à la Cartonnerie, avec entre autres Stuck in the Sound, et ai constaté, entre les deux dates, une belle prestance scénique, une évolution non négligeable. L’expérience des planches, je suppose ?
AK : Le live est une part importante de la vie d’un groupe, et personne n’aime l’idée d’un groupe qui viendrait sur scène pour enchaîner bêtement les morceaux, comme si l’on écoutait un disque très fort avec quelques centaines de personnes à côté de soi…
Et c’est vrai que l’expérience joue un rôle important dans la qualité d’un groupe sur scène. C’est quelque chose que l’on essaie de travailler un maximum, peut-être tout simplement parce qu’on n’a pas envie de décevoir le public, de la même façon que l’on a pu être déçus par certains concerts que l’on a vus.
8. Quels sont, pour le moment, vos souvenirs les plus forts, liés à vos tournées ? Quels sont vos souhaits, dans ce domaine, en termes de groupes avec lesquels partager la scène ?
AK : Les souvenirs les plus forts, ce sont finalement ces moments où l’on ne s’attend pas à ce que ça se passe aussi bien. Nous avons joué dans une petite ville qui s’appelle Aubenas, dont personne dans le groupe n’avait entendu parler. On pensait que personne ne viendrait nous voir. A l’arrivée la salle était comble et l’ambiance était folle. Ça, c’est un bon souvenir. Les souvenirs forts, ça peut être aussi quand ça se passe plus mal que tout ce qu’on pourrait imaginer, et qui nous font rire aujourd’hui, comme la fois où nous étions aux Etats-Unis et que notre camion est tombé en panne au fin-fond du Michigan. On s’est senti très seuls sur le coup, au milieu de zones industrielles sans fin, avec les types de l’assurance au téléphone qui refusaient de nous aider parce qu’ils disaient que nous étions responsables de la panne et des rednecks qui hurlaient « Assholes !!!! » depuis leur pick-up parce qu’on marchait le long de l’autoroute pour atteindre la prochaine station service…
Tout le monde a pensé qu’on ne s’en sortirait jamais, qu’on finirait notre vie au pied d’une énorme usine General Motors…
De manière générale, les tournées sont vraiment ce qu’on préfère, tout simplement parce qu’on voyage énormément, que cette vie nomade nous enrichit énormément, on voudrait tous pouvoir tourner sans arrêt !
9. Quels sont vos rapports avec Disque Primeur, au catalogue attrayant et diversifié ? J’imagine que cette pluralité des styles, cette ouverture, convient parfaitement à ce que vous proposez au sein d’Adam Kesher et à votre vision de la musique ?
AK : Nous sommes assez proches de Disque Primeur, déjà parce qu’ils nous suivent depuis le début, ensuite parce qu’ils nous soutiennent énormément, et ils s’investissent à fond, encore plus sur ce deuxième album. Sur la diversité du catalogue, c’est vrai que l’on respecte l’ouverture de Disque Primeur, et l’on a rencontré tous les artistes qu’ils ont signés, et je crois que c’est important pour eux de mettre en contact les différents artistes dont ils s’occupent, voire de les faire interagir, par des échanges de remix, par exemple. Tout simplement, l’ouverture de Disque Primeur vient du fait que Matthieu et Greg aiment assez la musique pour vouloir en produire, de la même façon que nous aimons assez la musique pour vouloir en faire. C’est aussi ce qui fait que nos rapports fonctionnent depuis maintenant plusieurs années…
10. Après plusieurs sorties dont, tout de même, deux albums de belle facture, arrivez-vous à vous projeter avec un tant soi peu de certitude sur la suite, ou êtes vous plutôt dans la prudence, au regard des difficultés qu’ont beaucoup de groupes à percer et tenir sur la durée ?
AK : C’est vrai que la vie d’un groupe n’est pas toujours évidente, et on se demande souvent où on sera demain. Mais c’est aussi ce pourquoi on aime ça. Nous n’avons pas de certitude sur notre avenir lointain, et on se concentre du coup sur l’avenir proche, comment on va défendre ce nouvel album, le porter aussi loin que possible, faire mieux que pour le premier, pour que la perspective de faire un troisième disque puisse se concrétiser. C’est clair qu’à nos yeux, nous n’avons pas encore amené ce groupe aussi loin que nous le souhaitons, que nous avons encore pas mal de choses à raconter. L’important, c’est de continuer à faire de la musique dans de bonnes conditions, d’une manière ou d’une autre, d’arriver à vivre la vie de la façon dont nous voulons la vivre aussi longtemps que ce sera possible. C’est sans doute pour ça qu’on pense peu à l’avenir lointain, parce qu’on veut profiter au maximum des opportunités que l’on rencontre aujourd’hui.