A Amiens, nous possédons -c’est un motif de fierté-, un label, Ikoz, tenu de main de maître par l’increvable et talentueux David Monet, qui abrite des groupes hors-normes et captivants comme John Makay (dont l’album vient de sortir), Funky Skunk, Tungstene, Panta Rei, The Name, Soundchaser et enfin Motionless, dont j’ai l’honneur de présenter l’album en ces lignes.
Issu de différents endroits de la région, mais basé à Amiens, Motionless offre, à l’instar de ses collègues de label, une production singulière, à la base hip-hop mais au contenu ne pouvant être rapproché d’un style en particulier, et convainc aisément par l’adresse qu’il manifeste dans son métissage sonore et stylistique. Surs d’une maîtrise plus qu’affirmée, les intervenants, au panel musical s’appuyant autant sur l’émotion que sur l’improvisation et des penchants expérimentaux toujours justes, tissent des ambiances changeantes et dotées d’un pouvoir de séduction considérable. Jazz, hip-hop, petites bribes rock remarquables, électro et post-rock entrent en collision et fusionnent pour un résultat d’une qualité inespérée, Motionless osant même plusieurs collaborations, abouties, avec plusieurs rappeurs appartenant pour la plupart à la scène indé américaine.
C’est ainsi que dès le titre d’ouverture, Colonialism, qui déploie lentement et majestueusement ses atours savamment élaborés, Ancient Mith nous gratifie de son intervention sur fond hip-hop à la classe jazzy ahurissante, ceci après une introduction d’obédience folk elle aussi marquante. L’entrée en matière est donc concluante et il en sera ainsi sur les onze titres qu’inclut l’album. Sur The one eyed hog, un peu plus vivace et qui offre des breaks acoustiques de toute beauté, doté de beats discrets et déterminants, l’effet produit est à nouveau de taille et le résultat de haute volée. Et l’on comprend, au bout de ces deux premières plages, que Motionless n’offrira ici aucune prise à la médiocrité.
Entre ce Chisel obsidian intense et vocalement magnifié par Demune and Xiomara Sol, et Unattended outro, dernier morceau aux reflets jazz d’une classe surprenante, raffiné et baladant son auditeur de parties aériennes en envolées légèrement plus vives, le quatuor nous fait don de réalisations uniques, et refuse de se cantonner à un style précis, ce qui fait toute la richesse et la singularité de ce premier opus chatoyant.
On notera, au hasard d’une écoute passionnée, les sons obsédants, apportant une touche rock bienvenue, de Calm & quiet, qui allie chaleur folk et trame plus perturbée, déchirée par la trompette élégante et affolée de Jérome « Guizmo » Fouquet, ou encore ce Proud or ashamed assombri par des sons dark et bénéficiant de la participation de Babel Fish, the Beatmaster and Edison, et on se rend compte que chaque morceau possède et met en exergue cette multitude de petits détails décisifs ingénieusement produits par les intervenants.
Plus loin, on appréciera entre autres, et grandement, The fairy tale of David Burton, au chant particulier et bien senti, porté par un rythme électro sacccadé, ou les intonations rock de Us anymore, Thesis Sahib y allant de sa contribution aussi remarquée que les précédentes, ou encore Why Motionless, détendu et porteur de ce climat de fond gentiment obscurci et constituant le parfait contrepoint de ces élans jazzy lumineux dont le groupe détient le secret.
Sans oublier, en fin d’album, Voyage voyage, remuant et alliant à merveille boucles électro, voix presque distantes et, comme de coutume, cette trompette d’un apport conséquent, au même titre que l’ensemble des sonorités émanant et résultant d’un groupe d’ores et déjà au sommet de son inspiration, dont personne ne doute qu’elle continuera à générer de bien belles choses.
Superbe album donc, à mille lieues de l’attitude conventionnelle et timorée que l’on pourrait reprocher à bon nombre d’autres formations, qui honore de façon conséquente ses géniteurs et un label au catalogue sortant lui aussi des sentiers battus.