Quand on évoque la scène noise française des années 90, riche en talents tels que DRIVE BLIND, CONDENSE, KILL THE THRILL, SLEEPPERS, TANTRUM et j’en passe, les trois derniers cités étant d’ailleurs encore en activité, il est IMPOSSIBLE de ne pas citer les fabuleux BASTARD. Sorte de seconde mouture de DEITY GUNS, groupe de la région lyonnaise mené de main de maître par Eric Aldéa, BASTARD a marqué le paysage sonore français de façon durable et indélébile, sortant entre 92 et 97 quatre albums géniaux et hors-normes, pour s’arrêter sur les cimes de la scène dont il faisait partie.
Et voila qu’en 2005, pour les 20 ans du Confort Moderne de Poitiers, ce groupe fabuleux se reforme et donne un concert à cette occasion.
Atteignant une intensité hallucinante, jouant avec fougue et passion, faisant renaître de leurs cendres treize titres et autant de standards noise, Eric et ses acolytes marient à la perfection ambiances à la SONIC YOUTH (n’oublions pas que le premier DEITY GUNS fut produit par Lee Ranaldo), plages industrielles répétitives et hypnotiques et cordes savamment distillées, pour un résultat à l’écoute duquel on n’a qu’une envie : que BASTARD reste et compose à nouveau, que ça reparte, que BASTARD nous envoûte, que la magie opère encore. Atmosphères singulières et tourmentées, tempêtes sonores (Daddy’s lipstick et son intro toute en muscles, Death party que j’aurai l’audace pour ma part de rebaptiser Death valley tellement l’effet produit est proche de celui causé par le titre des new-yorkais, entre autres), accalmies soudaines et souvent orageuses, chant possédé, guitares vicelardes, diaboliquement noise et addictivement distordues ; tout s’imbrique parfaitement et cela débouche sur des édifices sonores impressionnants, à la fois instinctifs et maîtrisés.
Les grattes de Chinatown donnent d’entrée le ton, massives et omniprésentes, sur une rythmique lourde, puis une boucle vient emmener le titre suivant, Travelgum, vers les sommets. Suite à cela, 200 miles from Hanoï, lourd et bien indus, nous met sur les genoux. Et en trois titres, ni plus ni moins, on sait, on comprend que BASTARD est doué d’un talent intrinsèque inégalable, se montre indomptable, puissant et implacable, mais aussi et avant toute chose, captivant et inspiré, unique et inclassable. Et c’est bien cela qui fait la force du groupe. De surcroît, BASTARD sait aussi parfois se faire nuancé, de superbe manière (Kal et son ambiance orientalisante, relevé par des cordes magiques, qui aussitôt après s’emporte par le biais du chant et d’une rythmique plus impulsive, pour ensuite retomber dans un climat lourd et oppressant : superbe !). C’est d’ailleurs encore le cas sur ce Dinner for the worses orageux, qui longtemps menace mais jamais n’explose, évoquant en cela la recette magistralement employée par la bande à Thurston Moore sur ses premiers albums, notamment.
L’enthousiasme causé par cet album me pousserait facilement à décrire chaque titre proposé ici, et à vous faire part de l’effet produit par des morceaux comme Rockn’roll star ou From the hillside. Mais avec BASTARD, un album se vit plus qu’il ne se décrit et si en écrivant sur cette oeuvre parfaite, j’ai suscité en vous l’envie de vivre cette expérience unique et délicieuse, alors mon objectif est atteint. Un monument, ni plus ni moins.