Soucieux de dresser un panorama complet de la scène noise française des années 90, et ayant précédemment abordé certains groupes-phare de cette mouvance, je vais aujourd’hui faire l’éloge de ce qui est pour moi le meilleur album français de tous les temps. Ce sera d’ailleurs ma seconde chronique pour cet album ; il le vaut largement, et je tenais à ce qu’il figure en bonne et due place aux côtés des BASTARD, SLOY, SKIPPIES etc…
Ce Be a vegetable regroupe douze titres et autant de tubes, de bourrasques mêlant grunge, pop et rock pour en faire l’entité DRIVE BLIND, un son qui leur est propre, une alchimie qui n’appartient qu’à eux, un compromis miraculeux, abouti et parfait jusque dans ses moindres recoins, jusque dans ses moindres notes, entre esprit aventureux et rock plus « conventionnel ». Compromis, aussi, entre les influences et les personnalités de chacun, qui s’avèreront complémentaires et génératrices d’un génie musical que peu possèdent, et ce, même au plus fort de la tourmente, comme ce fut le cas au sein du groupe à la sortie de ce disque ESSENTIEL. En outre, les montpelliérains ont su s’entourer, s’offrant les services de David Weber à la prod’, ce qui ne fait que donner plus de relief et d’envergure à un album déjà énorme.
Je ne sais d’ailleurs pas par où commencer sur ce festival d’album, alors bon, je vais faire classique et débuter avec Fear, premier morceau sur lequel Karine chante de façon simultanément sauvage et sensuelle, après une intro assurée par une guitare bruitiste et une basse bien lourde. Ce morceau, massif et percutant, se déploie lentement, avec assurance, en s’appuyant sur un riff plombé et ce chant ambivalent, pour s’achever sur un duo vocal fabuleux, qui deviendra même trio sur la fin de ce morceau introductif magique. La guitare, fil conducteur de ce disque, introduit ensuite My second rate fulfilment, au chant cette fois exclusivement masculin. Un morceau rageur, enlevé, grungy et tubesque, qu’on a à peine le temps d’ « encaisser » que se profile la chanson dont certains disent, et j’en fais partie, qu’elle devrait faire partie du panthéon du rock’n’roll : Vegetable vendetta. Assez alerte, mais cassant légèrement le rythme, et s’appuyant sur des guitares sorties du diable vauvert et des voix cette fois encore entremêlées, Karine répondant avec aplomb à ses collègues masculins, ce titre est tout simplement inoubliable, intemporel. Mais en poursuivant l’écoute, on s’aperçoit que les neuf autres sont à deux doigts de bénéficier du même statut, à commencer par Five seconds of your conversation, orné de motifs de guitare magiques, et qui sonne un peu comme le petit frère du précédent, en peut-être moins saccadé, et mené cette fois par Karine, certainement la bassiste-chanteuse la plus « wild » de nos contrées. Puis sur Soul beauty, la sérénité reprend ses droits sur l’intro, vite troublée par cette guitare indomptable et le chant qui se fait plus colérique, avant de laisser le calme revenir puis de repartir de plus belle. Car chez DRIVE BLIND, on maîtrise tout, y compris l’art de varier les climats et de superposer les ambiances. C’est d’ailleurs…imperceptible sur Fiasco, agité dès son entrée en matière, basse pesante, guitares dures comme du roc, voix agressive, mordant jusqu’à son terme et qui semble prendre le contre-pied de son prédécesseur. Qu’à cela ne tienne, One reason to smile fait à nouveau valoir cette adresse à faire se succéder, voire se mélanger, quiétude et fureur, pour laisser Placebo, bondissant et fonceur sur sa quasi-totalité, redonner ses droits au côté sauvage du groupe. Pas totalement toutefois, puisqu’après ce déchaînement arrive un break auquel répondent une rythmique débridée et des guitares assassines, ce morceau aussi génial que les autres s’achevant de façon percutante. Et là, nouveau tube imparable : Subdued. Porté par un riff dément et une alternance vocale superbe, rythmé et doté d’un break à l’image de ceux des morceaux précédents, c’est-à-dire parfaitement placé, relevé par le chant de Karine, ce morceau est du même tonneau que Vegetable vendetta, et se finit magiquement, les voix féminines et masculines, rageuses et parfaitement complémentaires, se superposant et terminant par un Today is just another day fabuleux et… pessimiste.
Rock de même facture sur l’excellentissime Jagger’s tatoo, auquel succède The last temtation of the modern man, moins alerte, plus massif mais tout aussi génial, dont la teneur vient corroborer l’impression selon laquelle DRIVE BLIND n’a pas son pareil pour écrire de façon variée et irrésistiblement attractive quel que soit le registre abordé. On a d’ailleurs droit à un titre du même style pour terminer l’album, ce 14th January chanté par Karine, alternant passages furieux et accalmies avec brio. On regarde alors le lecteur pour s’apercevoir qu’il reste du temps après cette chanson sensée être la dernière. Et après une petite attente, on tombe sur un morceau caché, noisy, saccadé et chanté par Karine, qui prend fin à la SONIC YOUTH, sur le son d’une guitare savemment triturée.
Quant à moi je réappuie sur la touche « play », car c’est certain, ce disque EST le meilleur qui soit jamais sorti en France dans ce domaine. Il aurait du permettre à ce groupe de devenir énorme si celui-ci n’avait pas implosé, et si l’on veut se consoler, il ne nous reste actuellement que les projets des anciens membres. Mais ce Be a vegetable est irremplaçable.
Fantastique, monumental, une véritable drogue dure musicale.