Puisque ce webzine est bordelais et que Noir Désir est de retour avec pour le moment deux titres mi-figue mi-raisin mais forcément évènementiels et porteurs malgré tout de belles promesses, saluons par quelques modestes lignes l’un des albums les plus marquants que la scène rock française ait compté en son sein: ce « Tostaky » rageur et remonté qui voit la bande à Cantat, au sommet de son art, dominer le paysage rock et, après un mini-album et deux albums particulièrement brillants, asseoir définitivement sa suprématie.
Sur ce disque compact, sans temps morts et doté de titres renversants, tant sur le plan textuel que sur le plan musical, le groupe oscille entre élans grungy imparables et incoercibles (« Here it comes slowly » en ouverture, proposez-moi mieux…, « Ici Paris » et son rythme d’abord dansant puis plus tranchant, zébré par les interventions de Serge Teyssot-Gay, « Tostaky » que l’on ne présente plus et son riff qui emporte tout sur son passage, un « 7 minutes » incandescent, colérique et d’une intensité décoiffante, noise, noisy et j’en passe, ou encore « It spurts« , au final massif, sans omettre la reprise des Nus, groupe rennais ayant influencé les quatre rockeurs bordelais, courte et percutante…et enfin « Alice » sur lequel Sergio nous fait un festival) et plages plus calmes (« Oublié » et sa fausse quiétude, un « One trip/One noise » dans la même veine, qui font état de l’incroyable capacité de la formation à se montrer performante dans tous les registres, à modérer ses élans tout en conservant une tension palpable) avec un savoir-faire qui n’appartient qu’à lui.
Ailleurs, des plages délibérément tranquilles, splendides, comme « Marlène » et sa guitare bluesy, doté de textes, comme à l’accoutumée, dignes de nos poètes les plus reconnus (Cantat avouant sans rougir, et il le peut, l’influence de Rimbaud), viennent complèter le tableau.
Puis, dans ce registre posé et pour finir sur une bonne note, ce « Lolita nie en bloc » taillé dans le même roc, dans la même délicatesse vocale et instrumentale, la guitare partant toutefois ici dans des échappées noisy brèves et jouissives.
Et si on ajoute à cela la rythmique de feu assurée par Frederic Vidalenc et Denis Barthe,force est de reconnaitre que ce groupe n’a guère de concurrent, au moment de ce disque, dans nos terres et ailleurs.
En outre, Ted Niceley étant une fois encore à la production, le son dont il gratifie Noir Désir est bien évidemment en parfait accord avec l’attitude écorchée vive du groupe, cette attitude entière et intègre trouvant ici la plus parfaite, la plus aboutie des mises en son et constituant en quelque sorte la bande-son de notre quotidien, de nos envies, de nos frustrations, de nos colères aussi, de notre révolte face à une société qui n’offre que peu de latitude à nos Désirs.
Ce désir, cet espoir qui nous pousse à aller de l’avant, on le retrouve à l’écoute de cet opus sans égal, cette année-là, dans l’hexagone, mis à part chez les Thugs et leur géniallissime « As happy as possible« . As happy as possible, voilà finalement ce que ce disque nous permet d’être, l’état auquel il nous permet d’accèder après avoir expulsé, canalisé et donné une voie d’expression à notre colère et à nos rêves bafoués et piétinés par une société bancale et offerte à la déviance. Et ça, c’est tout simplement énorme…