Au moment de re-considérer l’œuvre, énorme tant par sa qualité que par sa quantité, et déterminante, référentielle même, d’un point de vue musical et « idéologique », de Sonic Youth, on s’aperçoit en tout premier lieu d’une chose très précise. En effet, l’accent est rarement mis sur la capacité qu’avait le groupe, le « early Sonic », à développer des ambiances tellement envoûtantes qu’on en arrivait très vite à devenir accroc. Et c’est le cas pour ce « Evol » de haute volée, passionnant jusque dans ses moindres recoins, truffé de morceaux à l’atmosphère envoûtante. Les new-yorkais y excellent tant dans les parties bruitistes que dans les plages plus sereines et nous offrent au passage une collection de titres d’ores et déjà insultants, envers toute éventuelle concurrence, de par leurs qualités intrinsèques. Mais y’en a-t-il une pour ce groupe, cette institution, devrais-je dire ?
Bien évidement la réponse est non. Dès « Tom violence », Thurston et son trio de génies musicaux drapent l’auditeur dans ce climat lancinant, sur lequel le sieur Moore place sa voix unique, sur fond de guitares bruitistes, délicieusement « dirty » et qui par leur sonorités, plongent l’auditeur dans un chaos intérieur salvateur, synonyme à la fois d’espoir et de trouble profond. Et cette alchimie, cette formule singulière est vraiment l’apanage de ce groupe devenu, depuis et à juste titre, la référence ultime, et la source d’inspiration, de nombreuses formations actuelles ou disparues. Sur « Shadow of a doubt » qui arrive ensuite, cette alternance entre bruit maîtrisé et sérénité apparente prévaut et s’impose à nouveau, Kim posant sa voix sur ce titre lui aussi magique et obsédant. C’est d’ailleurs qui elle officie encore au micro sur « Starpower », superbe morceau qui part sur un rythme plutôt alerte pour, brusquement, offrir une partie plus noisy, plus lente, avant que le rythme de départ ne s’impose de nouveau. Au final, c’est un vrai standard rock, un de plus, qui nous est délivré par Sonic Youth. Et, à l’issue de ces trois titres, on est loin d’en avoir fini, d’être surpris et irrémédiablement captivé par les titres de cet album fabuleux. « In the kingdom # 19 » prend le relais et cette fois, Thurston chante d ‘une façon quasi-narrative, d’abord sur fond rock, avant de se voir accompagné par cette trame noisy qui deviendra très vite la marque de fabrique, et l’une des nombreuses forces, de la Jeunesse Sonique.
Bon, comment peut-on ensuite décrire ce « Green light » imparable ? Difficile, tant ce morceau, superbe clair-obscur, au mid-tempo d’abord posé puis ensuite plus audacieux, s’avère fascinant et constitue un véritable régal sonore, une invitation à l’introspection, un voyage mental et sonore inédit et inégalable. Ce titre est une ode à l’optimisme, et simultanément, la trame grinçante dressée par les instruments jette sur cet espoir une légère teinte plus terne, qui n’alterne en rien le bonheur émanant de cette Lumière Verte et, de surcroît, ajoute à la splendeur de la chanson. Superbe et définitif.
Sur « Death to our friends », l’occasion est donnée à nos expérimentateurs soniques de montrer leur savoir faire instrumental et de jouer, avec une maestria déjà ébouriffante, sur les cassures de rythme et sur l’alternance clarté/dissonance qui très vite distinguera le groupe des autres et lui conférera ce statut de « leader » et d’instigateur d’une mouvance unique, d’une identité personnelle forte et très marquée. « Secret girls » qui suit cet instrumental marquant débute de façon quasi-industrielle pour déboucher sur une plage sonore sereine magnifiée par la voix de Kim, soulignée par des notes de guitare répétitives et absolument merveilleuses. Un titre exemplaire de sobriété et qui montre qu’avec trois fois rien, une multitude de bonnes idées, du génie et surtout un talent énorme, on parvient à se hisser à un niveau inaccessible à tous ou presque.
Arrive ensuite « Marylin Moore » qui, comme pour confirmer mes dires, développe une ambiance singulière, prenante à l’extrême, presque post-rock avant l’heure et qui par ce biais nous montre que la formation menée par Thurston avait tout compris, tout assimilé bien avant l’heure et bien avant que d’autres groupes s’approprient les mêmes éléments.
Puis, cerise sur le gâteau, on a ensuite droit à l’un des standards intemporels du groupe, ce « Expressway to your skull » aux zébrures noisy fracassantes et exaltées, représentatif à lui seul de la démarche du groupe et de sa suprématie au sein d’une mouvance qu’il a lui-même créée et développée, et qui pour ma part m’amène à penser qu’on est bel et bien là en présence du meilleur groupe au monde, ni plus ni moins. Un édifice sonore majestueux et impressionnant, dont les écoutes répétées révèlent à chaque fois toute la sève et la substance.
Puis pour finir, un autre standard sous la forme de ce « Bubblegum » exceptionnel, reprise de Kim Fowley à l’esprit très rock, débridé, et aux guitares tonitruantes. Ce morceau, en plus d’achever l’album de façon triomphale, met en évidence le talent exceptionnel du groupe quelle que soit l’option musicale choisie, quelle que soit la voie empruntée. Et ce « Evol », plus de 20 ans après, garde tout son éclat, toute sa magnificence, et apparaît plus que jamais comme un album légendaire et incontournable, au même titre qu’un « Goo » ou qu’un « Daydream nation ». Incontournable, indispensable et intemporel.